
La prison de Con Dao
«Une visite dans les ténèbres»
On pourrait croire à un décor de carte postale : une île verdoyante caressée par les flots turquoise de la mer de Chine méridionale, à plus de 200 kilomètres au sud de Hô Chi Minh-Ville. Pourtant, derrière la beauté éclatante de l’île de Côn Sơn – autrefois appelée Poulo Condor – se cache l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire vietnamienne : celui d’un bagne devenu symbole de résistance, de souffrance… et d’espoir.
Une île aux courges devenue île aux supplices
Le nom malais Pu Lao Kundur, signifiant « l’île aux courges », évoquait autrefois l’abondance tranquille d’un territoire isolé. Mais dès le XIXe siècle, cette tranquillité fut rompue. Utilisée comme lieu de bannissement par le pouvoir annamite, l’île fut transformée en bagne par les autorités coloniales françaises à partir de 1862, peu après le traité de Saïgon. Ainsi naquit le bagne de Poulo Condor, dont les murs abritèrent plus d’un siècle d’atrocités.

La prison n’était pas qu’un simple lieu de détention. Elle était une machine à briser les corps et à broyer les âmes. Parmi les pires tortures infligées, les tristement célèbres cages à tigres, où les prisonniers étaient enchaînés, contraints à vivre des années entières accroupis, jusqu’à perdre l’usage de leurs jambes.


Beaucoup d’opposants au régime colonial français y furent enfermés. Des noms devenus mythiques dans l’histoire du Viêt Nam moderne y ont laissé leur chair et leur volonté : Phạm Văn Đồng, Lê Đức Thọ, l’épouse de Võ Nguyên Giáp – morte en détention en 1941 – et sa sœur, guillotinée pour nationalisme. C’est ici que des nationalistes furent transformés en révolutionnaires. C’est ici que le feu de la révolte fut attisé au plus profond de l’enfer.
Même après le départ des Français, la prison continua d’exister. Pendant la guerre du Viêt Nam, le régime sud-vietnamien, soutenu par les États-Unis, y installa un « centre de rééducation ». Un nom aseptisé pour un lieu de torture.

Une visite dans les ténèbres
Aujourd’hui, on peu arpenter les vestiges du bagne. Mais attention : il ne s’agit pas d’une simple promenade historique. C’est un plongeon dans l’horreur, dans ce que l’humanité peut produire de plus inhumain.

Le complexe carcéral est tentaculaire : prison de Phu Hai, camp de Phu Tho, camp de Phu Hung, hangar à vaches, cages françaises et américaines… Chaque nom résonne comme une épreuve, chaque bâtiment comme une cicatrice.

À Phu Tuong, par exemple, derrière un jardin potager soigneusement entretenu, se cache un secret glaçant : des cellules souterraines aux barreaux acérés, à peine assez hautes pour se tenir assis, où l’on entassait hommes, femmes et même enfants, parfois âgés d’à peine quinze ans. Enchaînés, affamés, brûlés à la chaux vive, ils survivaient – ou mouraient – à l’abri des regards.



À Phu Phong, on trouve la section réservée aux femmes. Là aussi, la barbarie était sans limite. En 1969, certaines d’entre elles se révoltèrent. Leur cri résonne encore entre ces murs écaillés. À la libération, en 1975, 494 femmes y étaient toujours détenues.


L’enfer dans l’enfer
La prison de Phu Hai, la plus ancienne, construite en 1862, fut surnommée « la prison dans la prison ». Dix grands cachots, vingt cellules d’isolement plongées dans l’obscurité totale, une zone de punition infernale où les prisonniers devaient actionner de lourds moulins dans une chaleur suffocante, tout en étant fouettés… Une vision de l’enfer que Dante n’aurait pas reniée.


Non loin de là, le hangar à vaches, construit en 1930, servait à entasser les prisonnières politiques comme du bétail. Certaines y moururent à petit feu. En face, un mémorial indique l’emplacement d’une fosse commune. En 1862, après une tentative d’évasion, des dizaines de prisonniers furent enterrés vivants.

Et que dire du cimetière Hang Keo ? Redécouvert en 1997, il contenait les restes de plus de 10 000 prisonniers morts entre l’époque coloniale et les années 1940. Désormais, les ossements ont été transférés au cimetière de Hang Duong, où chaque soir, des Vietnamiens viennent rendre hommage aux martyrs, et en particulier à Võ Thị Sáu, jeune résistante exécutée à seulement 19 ans.
De l’ombre à la lumière
Aujourd’hui, Côn Đảo est un lieu de mémoire. Un projet de musée de l’indépendance est en cours dans les anciens bâtiments du bagne. Le contraste entre la beauté de l’île et l’horreur de son passé frappe chaque visiteur. On vient à Côn Đảo pour admirer ses plages, ses tortues de mer… et on repart bouleversé par ce qu’on y découvre.
C’est peut-être là, dans ce contraste insoutenable entre paradis naturel et enfer historique, que réside toute la force de ce lieu. Il ne faut pas l’oublier : sous chaque pierre de Côn Đảo, un cri sommeille.
Côn Đảo – Quatre jours entre mémoire et paradis
« Une île, deux visages. Le paradis en surface, l’enfer dans les entrailles. » Début novembre 2019, avec Réglisse, on a mis le cap sur Côn Đảo, cet archipel méconnu posé au large des côtes vietnamiennes. Quatre jours à s’imprégner…

