
El Alconzal
El Alconzal, mémoire vive d’un hameau oublié
Situé à une vingtaine de kilomètres de Jaganta, El Alconzal repose en silence sur le versant d’un petit ravin, enveloppé par la végétation et l’oubli. Pourtant, derrière les murs effondrés et les toits mangés par le temps, la vie palpite encore, portée par la voix d’un homme : Eusebio Carcelero.

À notre arrivée, Eusebio et sa femme Josefa Asensio, derniers habitants de ce hameau isolé, nous accueillent avec une chaleur simple, dans la première maison encore debout d’El Alconzal. Il y a dans le regard d’Eusebio un éclat, une fierté mêlée de mélancolie. Il nous raconte “sa” massada, comme on appelait autrefois ces petits hameaux agricoles autonomes, organisés autour du labeur, de la solidarité et d’une profonde connaissance de la terre.

« Ici, on vivait de peu, mais on avait tout », dit-il, les yeux tournés vers la colline.
Dans les souvenirs d’Eusebio, El Alconzal renaît. Des jardins potagers bordaient les maisons, chacun cultivait de l’orge, du blé, des olives, de la vigne. Le mouton était le roi des bêtes, mais l’on élevait aussi des porcs, des poules, des lapins. Tout servait, rien ne se perdait. Le travail était rude, mais les saisons rythmaient une vie pleine de sens.
Pour les services essentiels, on dépendait de Las Planas de Castellote, plus central : la messe y était célébrée chaque dimanche, les enfants y suivaient l’école. Le médecin et le vétérinaire, eux, venaient de Santolea – un village aujourd’hui disparu sous les eaux du réservoir.
« On faisait tout à pied ou à dos d’âne… Le facteur venait de Las Planas, on y portait les olives à la coopérative, et quand le four communal chauffait, on faisait le pain pour plusieurs jours ».
La vie sociale d’El Alconzal n’était pas en reste. Les femmes se retrouvaient à la maison de la Tía Carmen, les enfants jouaient sur la petite place, et lors des fêtes, on sortait les bancs, les guitares, le vin fait maison. Les vendeurs ambulants, eux, apportaient tissus, ustensiles, ou sucreries en échange de légumes, d’huile ou de pain. Le pressoir à raisin, communal, servait à faire le vin de l’année. On ne manquait de rien, sinon de temps pour se reposer.
Mais petit à petit, le vent a tourné. L’exode rural a commencé. Les jeunes sont partis. Les maisons se sont vidées, les bêtes ont disparu. En 2009, Eusebio et Josefa ont quitté El Alconzal pour s’installer à Castellote, mettant fin à plus d’un siècle d’occupation humaine ininterrompue.
Aujourd’hui, El Alconzal murmure son histoire à qui veut bien l’écouter. Il suffit d’y monter, de croiser le regard d’Eusebio, et de laisser la mémoire faire son œuvre. Il est des lieux qui ne meurent pas tant qu’un cœur bat pour eux.





