Manille
Arrivée à Manille : un choc culturel
Il est 4h30 du matin lorsque nous posons enfin le pied aux Philippines. L’air est déjà chaud et moite, le thermomètre affiche 27°C. “Pas de neige ici”, lançons-nous en plaisantant pour masquer la fatigue du long vol. Le passage à la douane se révèle étonnamment simple, bien loin des contrôles interminables auxquels on s’attendait. Puis, nous voilà dehors, debout sur le sol philippin, face à la capitale : Manille.
La première impression est brutale. Manille, mégapole de plus de 13 millions d’habitants, est une ville qui ne laisse personne indifférent. Pour les âmes sensibles, mieux vaut passer son chemin. Ici, bidonvilles et buildings modernes se côtoient dans un contraste saisissant. L’architecture n’a rien d’exceptionnel : entre immeubles décrépis et gratte-ciels clinquants, la ville donne l’impression d’un chaos organisé où richesse et misère s’entrelacent sans logique apparente.
Malgré la fatigue, nous décidons de nous balader. Très vite, nous sommes happés par le tumulte urbain. Le vacarme est incessant : klaxons, moteurs, cris, musique… Les rues sont envahies par les célèbres jeepneys, ces minibus colorés aux décorations exubérantes qui laissent derrière eux un nuage de fumée étouffant. À chaque coin de rue, des hommes en uniforme montent la garde, fusil d’assaut en bandoulière. Devant les hôtels, les banques, les centres commerciaux… ils sont partout. AK-47, SPAS-12, armes de guerre en pleine ville, un spectacle glaçant qui nous rappelle que nous sommes loin de nos repères occidentaux.
Mais ce qui nous frappe le plus, c’est la présence omniprésente des enfants des rues. Ils sont là, à chaque intersection, pieds nus sur le bitume brûlant, survivant comme ils peuvent. Certains lavent les pare-brise des voitures, d’autres tentent de vendre quelques babioles ou fouillent les ordures à la recherche de quelque chose à revendre. Leur maison ? Des cartons, des bâches tendues entre deux poteaux, un abri de fortune au coin d’un trottoir.
En marchant, nous arrivons près des quais. L’idée était de profiter d’un moment de calme face à la baie de Manille et, pourquoi pas, de visiter l’aquarium. Mais la réalité nous rattrape vite. Là où nous pensions trouver un espace aménagé, nous découvrons un paysage de désolation. Détritus flottant à la surface de l’eau, odeur pestilentielle, familles entières dormant à même le sol sur le parking adjacent. Ici, les jardins publics, les ponts, les tunnels et même les porches d’immeubles servent d’abris aux plus démunis.
Nous assistons, impuissants, à une scène choquante : une bagarre entre enfants. Pas un simple échange de coups de poing entre gamins. Non, ici, on se bat avec des pierres, des couteaux, un hachoir de boucher… Même les plus petits, à peine cinq ans, se défendent avec une hargne désespérée. Un garde finit par intervenir, mettant temporairement fin au combat. Une scène difficile à oublier.
Le soir venu, nous regagnons notre logement, un quartier qu’Ange surnomme Favela et que je qualifierais plutôt de bidonville. Demain, nous explorerons Intramuros, le quartier historique de Manille, vestige du passé colonial espagnol.
Intramuros : l’autre visage de Manille
Après une nuit bien méritée, nous nous enfonçons dans les ruelles pavées d’Intramuros. Ce quartier fortifié du XVIe siècle, autrefois centre administratif de la colonisation espagnole, tranche radicalement avec le reste de la ville. Ici, l’atmosphère est plus calme, presque hors du temps. Églises baroques, bâtiments coloniaux, fortifications encore debout malgré les ravages de l’histoire… On se surprend à apprécier la balade. Intramuros est un voyage dans le voyage, un petit morceau d’Europe figé dans cette métropole chaotique.
Le hasard nous conduit ensuite vers Chinatown, un quartier que j’affectionne particulièrement. L’animation y est intense : étals de nourriture fumants, magasins de contrefaçons, effervescence joyeuse… Nous tombons en plein Nouvel An chinois, et l’année du Lapin débute sous une pluie de pétards et de lanternes rouges.
Le troisième jour, retour sur la baie de Manille. Nouvelle bagarre, cette fois entre adolescents, à coups de pierres et de machettes. Nous prenons ensuite la direction du quartier des affaires. L’endroit est méconnaissable comparé au reste de la ville : tours de verre immaculées, banques, restaurants chics… Mais même ici, la pauvreté n’est jamais loin. À quelques mètres des immeubles luxueux, des baraquements en tôle témoignent du gouffre abyssal entre les classes sociales.
Manille : partir ou rester ?
Au fil de ces trois jours, une question nous obsède : fallait-il éviter Manille ?
La plupart des guides de voyage le conseillent, et beaucoup de voyageurs fuient la ville dès leur arrivée. Il est vrai que Manille n’a rien du confort touristique habituel. La misère y est frontale, brutale, omniprésente. Ici, elle ne se cache pas en périphérie comme dans d’autres grandes villes asiatiques.
Mais si nous sommes venus, c’est pour voir de nos propres yeux. Voyager, c’est découvrir, s’adapter, accepter la réalité du monde. Certes, Manille est éprouvante. Mais elle est aussi vivante, humaine. Malgré tout, nous n’avons jamais ressenti d’insécurité. Bien au contraire.
Les sourires, les salutations amicales, les enfants jouant au basket-ball avec Ange… Tous ces moments nous ont prouvé que les préjugés sont souvent loin de la vérité. Oui, Manille est rude, chaotique, extrême. Mais elle est aussi résiliente, chaleureuse.
Nous avons choisi de loger dans un quartier populaire, non pas par voyeurisme, mais parce que c’était l’option la plus économique. Nous avons partagé le quotidien de ses habitants, mangé dans leurs échoppes, échangé avec eux. Et c’est peut-être cela, la vraie leçon de Manille : au-delà de la saleté et du bruit, c’est une ville qui ne triche pas.
Vers de nouveaux horizons
Le temps est venu de quitter Manille. Un bus de nuit nous attend pour un périple de neuf heures à travers les montagnes philippines. Direction Banaue et ses célèbres rizières en terrasses, classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Alors que le bus s’enfonce dans l’obscurité, mes pensées restent suspendues à ces trois jours intenses. Manille est une épreuve. Une ville marquée par la pauvreté, la violence, mais aussi par une humanité sincère.
Je jette un dernier regard à la ville qui s’éloigne derrière nous, et une chose est sûre : Manille ne laisse personne indifférent.
