Archipel de la Maddalena

La villa Webber Sardaigne

Perchée à flanc de colline, entre pins maritimes et rochers de granit, la Villa Webber domine silencieusement la ville de La Maddalena. Peu de visiteurs la remarquent, et pourtant, elle fait partie intégrante de l’âme de l’île. Son architecture raffinée et son emplacement privilégié en font l’un des plus beaux témoignages du passé élégant de cet archipel.

Certains ont qualifié le fascisme de régime d’opérette. C’est une comparaison injuste et irrévérencieuse : l’opérette a été l’un des plus grands genres musicaux et théâtraux des derniers siècles, et l’Italie a eu ses figures marquantes, comme le Napolitain Carlo Lombardo, auteur de Cin Cin La et de Scugnizza. Mais si l’on accepte cette comparaison, il ne fait aucun doute que la Villa Webber constituait un décor idéal pour l’avant-dernier acte de la dictature de Mussolini.

En la voyant aujourd’hui, on pourrait croire à un décor de cinéma, une façade de carton-pâte oubliée par le temps. Pourtant, après avoir traversé le parc de pins qui l’entoure et franchi la porte d’entrée, on réalise qu’on n’est pas sur la scène d’une opérette : la Villa Webber existe bel et bien, et ce, depuis plus d’un siècle.
Construite à la fin du XIXᵉ siècle sur un promontoire du quartier de Padule, elle doit son nom à son premier propriétaire, James Phillipps Webber, un Anglais aussi mystérieux que raffiné. Il fit bâtir cette demeure dans un style mauresque-italien aujourd’hui un peu surréaliste. Webber vécut à La Maddalena pendant vingt-cinq ans, jusqu’à sa mort. On dit de lui qu’il était peut-être un espion à la solde de Sa Majesté, mais l’on sait avec certitude qu’il était un riche marchand, passionné d’art et de culture, célibataire endurci, mort à Pise à l’âge de 80 ans.

L’intérieur de la villa regorgeait autrefois de meubles précieux, de tableaux de maîtres, d’ouvrages rares que Webber époussetait lui-même, se méfiant de ses domestiques. La demeure respirait la sophistication et la solitude.
Habitée jusqu’en 1928, la villa fut peu à peu vidée, jusqu’à être réquisitionnée par l’État italien en 1943. C’est alors qu’elle entra dans l’Histoire : durant vingt jours, Benito Mussolini y fut détenu, dans deux grandes pièces orientées à l’est, face à la mer. C’est ici que le Duce, déchu, méditait sur son destin, avant d’être transféré au Gran Sasso, où il tenta de mettre fin à ses jours avant d’être libéré par les Allemands.

Après la guerre, la villa connut un lent déclin. Les gardes s’en allèrent, les meubles furent pillés, les fresques s’écaillèrent. Ce qu’il reste aujourd’hui, ce sont des espaces vides, des sols de marbre encore éclatants, des plafonds peints qui témoignent de sa grandeur passée. Autour, les ruines d’anciens bâtiments — logements de domestiques, entrepôts, écuries — rappellent la vie d’autrefois.
Les murs, presque neufs malgré l’abandon, semblent figés dans le temps. Aucun pèlerinage fasciste ne vient troubler ce silence, hormis quelques graffitis sans âme. La villa dort, prisonnière de son passé.