Sardaigne du Sud

Le Capo Figari

Avant même de poser le pied sur le sentier du Capo Figari, il faut s’arrêter un instant à Golfo Aranci, ce petit port de pêche devenu station balnéaire sans avoir perdu son âme.
Son nom intrigue : il ne vient pas des oranges, mais du mot sarde “Granci”, qui signifiait “crabes”. Jadis, ce golfe abritait d’innombrables crustacés, aujourd’hui remplacés par les barques de pêcheurs et les ferries reliant le continent.
Le village s’étire le long de la mer, entre le port, les maisons colorées et une succession de plages de sable blanc — Terza Spiaggia, Quinta Spiaggia, Cala Sabina — toutes baignées d’une eau translucide.
Les jours calmes, on aperçoit les dauphins jouer à l’entrée du golfe, habitués à la présence humaine au point qu’un petit centre d’observation leur est dédié.
Mais au-delà de son charme tranquille, Golfo Aranci est surtout la porte du Capo Figari.
C’est ici que la route s’interrompt et que commence l’aventure : celle du vent, des falaises et du silence.


Devant nous, la mer s’ouvre, immense, et le sentier s’élève dans la lumière. C’est le Capo Figari, promontoire sauvage où la roche blanche se heurte au bleu du ciel et du Tyrrhénien.

Un lieu que le vent ne quitte jamais, comme s’il gardait la mémoire de tout ce qui est passé ici — les tempêtes, les signaux radio, les hommes en uniforme, et les randonneurs curieux qui grimpent jusqu’au phare.

Avec ses hautes falaises calcaires plongeant abruptement dans des eaux d’un bleu profond, le site dégage une atmosphère à la fois majestueuse et sauvage. Peu fréquenté, il semble à l’écart du monde, protégé par son relief escarpé et la densité de son maquis parfumé.

Ici, le vent sculpte la roche, les genévriers et les arbousiers s’accrochent aux pentes arides, et les sentiers sinueux mènent à des points de vue spectaculaires. Sur ses hauteurs, le regard porte loin : de la Costa Smeralda jusqu’à Tavolara, en passant par les îles de Mortorio et Soffi.

Le passé du Capo Figari, pourtant, ne se résume pas à sa beauté naturelle. En marchant parmi les ruines d’anciens fours à chaux, vestiges d’une activité industrielle du XIXᵉ siècle, on découvre une facette méconnue du lieu. À cette époque, les pierres calcaires extraites ici étaient chauffées dans ces grands fours, avant d’être utilisées dans la construction ou exportées. Aujourd’hui, ces structures abandonnées, rongées par le temps, offrent un paysage presque lunaire, où l’histoire humaine se mêle intimement à celle de la nature.


Au sommet, parmi les pierres blanchies par le soleil, subsistent les ruines de la station radioGuglielmo Marconi réalisa, en 1932, une expérience restée célèbre : la première transmission radio à micro-ondes à longue distance.
D’ici, les ondes franchirent la mer pour atteindre la Rocca di Papa, près de Rome, à 260 kilomètres.
Une stèle commémorative marque encore l’endroit, témoin discret d’un moment qui a changé le monde sans bruit.

Un autre écho du passé qui s’ajoute aux pierres silencieuses.

Un peu plus bas, dissimulés dans la végétation, on distingue les bâtiments militaires abandonnés : casernes, postes d’observation, bunkers creusés dans la pierre. La Batterie Costiera Luigi Serra
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Capo Figari fut un point stratégique pour la surveillance du trafic maritime vers Olbia.
Aujourd’hui, ces ruines se dissolvent dans le paysage, envahies par les herbes et les lézards.


Elles rappellent d’autres fortifications de la côte nord — Punta Giglio, Capo d’Orso, Talmone — comme une ligne invisible de sentinelles de pierre.


Après la montée, la descente vers la mer semble une récompense.
Des sentiers dévalent jusqu’à de petites criques aux noms évocateurs : Cala Greca, Cala del Sonno, Cala Moresca, Cala Llanes Guerra, Cala Manu.


L’eau y est d’une limpidité presque irréelle.
Les roches blanches s’y fondent dans le turquoise, les poissons s’y approchent sans crainte, et le silence y est total, seulement rompu par le clapotis de la mer contre les galets.
Assis face à l’eau, on a l’impression d’être au bord du monde.
Le vent, fidèle, continue de souffler — le même qui portait jadis les signaux de Marconi, les ordres militaires, et aujourd’hui les pensées de ceux qui montent ici pour sentir la beauté pure du lieu.


Le Capo Figari n’est pas seulement un site naturel : c’est un lieu de passage, entre nature et mémoire, science et solitude.
Un endroit où le vent parle à ceux qui savent écouter.
Et quand on redescend vers le golfe d’Aranci, on garde au cœur ce mélange rare de liberté et de mélancolie — la sensation d’avoir touché, l’espace d’un instant, quelque chose d’intemporel.

Face au luxe éclatant de la Costa Smeralda, le Capo Figari révèle une Sardaigne plus authentique, plus brute, où seuls résonnent le chant du vent, le cri des mouettes et le parfum sauvage du maquis.