Les mosquées de Kuala Lumpur

Masjid India Kuala Lumpur

Adossée aux artères frémissantes d’un quartier commerçant où se croisent vendeurs de saris, parfums d’encens et smartphones dernier cri, Masjid India accueille chaque jour un public bigarré : commerçants pressés, clients de passage, habitants du quartier… et une ribambelle de visiteurs curieux, happés par son énergie et son architecture.Avec les années, la population fréquentant la mosquée n’a cessé d’augmenter, poussant ses murs – presque littéralement.

Aujourd’hui, un espace orné de colonnes a été aménagé devant l’entrée principale afin que les étals du marché voisin n’envahissent pas l’accès à la mosquée. Ce porche crée non seulement une zone de transition entre l’agitation des rues commerçantes et le recueillement intérieur, mais il offre aussi un abri pour les fidèles et les visiteurs lors des journées ensoleillées ou pluvieuses.


À la fin des années 1990, face à une affluence devenue difficile à gérer, le comité décida de moderniser l’édifice. En 1998, un vaste sous-sol vit le jour, permettant de multiplier les salles d’ablutions et les sanitaires, tandis que l’espace libéré au-dessus était transformé pour agrandir la salle de prière. Pour la première fois, des installations séparées furent créées spécialement pour les femmes.

En 2002, la mosquée se fit une beauté : ses façades furent habillées de dalles de granit poli, lui conférant une prestance toute nouvelle.
En 2015, ce fut au tour de l’intérieur de se refaire une jeunesse, avec un mihrab et un minbar flambant neufs, ainsi qu’un système de climatisation qui, sous le soleil de Kuala Lumpur, est probablement considéré comme un miracle moderne par bien des fidèles.

Aujourd’hui, Masjid India trône au cœur d’un des quartiers les plus vivants de la capitale. Elle est entourée de commerces, de stands colorés, de traditions malaises et indiennes qui se superposent comme des couches d’épices. En plus d’être un lieu de culte essentiel, elle est devenue une halte touristique recherchée, où l’on vient autant pour son atmosphère que pour son histoire.


Un héritage bien plus ancien

Bien avant ces rénovations successives, l’histoire de Masjid India plonge ses racines dans les échanges commerciaux entre l’Inde et la péninsule malaise. Dès la fin du Moyen Âge, des marchands musulmans venus du Coromandel, du Gujarat ou du Bengale sillonnaient l’archipel. Avec eux arrivaient non seulement des textiles, des épices et des pierres précieuses, mais aussi les premiers enseignements de l’islam.

Au XIXᵉ siècle, Kuala Lumpur n’était encore qu’une petite ville boueuse naissant de la fièvre de l’étain. Autour de 1860, un premier foyer de population musulmane indienne se forma à Kampung Rawa. Deux petites mosquées y existaient déjà, mais la communauté, centrée autour de Batu Road (aujourd’hui Jalan Tuanku Abdul Rahman), ressentait le besoin d’un lieu de prière digne de ce nom.

En 1863, grâce au financement des commerçants indiens, une première version de Masjid India fut érigée : modeste, construite en briques et en bois, et sans eau courante – les ablutions se faisaient dans la rivière Klang, qui passait alors à deux pas.
Mais entre 1870 et 1900, la communauté du sud de l’Inde augmenta rapidement, et la petite mosquée devint trop exiguë. Malgré plusieurs agrandissements, la situation restait difficile.
En 1964, décision fut prise de tout recommencer : la mosquée fut démolie pour laisser place à une structure plus vaste, moderne, et ambitieuse. Le Sultan de Selangor posa la première pierre le 11 septembre 1964, puis inaugura la nouvelle mosquée le 29 juin 1966.


Le résultat ? Un bâtiment à trois étages alliant modernité et inspiration sud-indienne, avec ses coupoles en bulbe, ses fenêtres cintrées et son minaret qui surveille toujours d’un œil bienveillant le tumulte de Jalan Masjid India.


Au fil de ses transformations, Masjid India n’a jamais perdu son rôle premier : celui d’un phare communautaire. Elle a vu évoluer Kuala Lumpur, ses rues, ses commerçants, ses générations de fidèles, et elle continue de refléter la vitalité d’un quartier où l’Inde, la Malaisie et le monde entier se croisent dans un joyeux brouhaha.
S’y arrêter, c’est saisir l’un des battements du cœur de la capitale : un lieu où le sacré côtoie le quotidien, et où l’histoire s’écrit encore, à l’ombre des dômes polis par la lumière tropicale


Le saviez-vous ?

Une mosquée au milieu des marchés : Masjid India se situe dans l’un des secteurs les plus animés de Kuala Lumpur. Les jours de grande affluence, le flux des fidèles se mêle aux vendeurs de saris, de henné ou de douceurs indiennes, donnant une atmosphère unique de foi et de commerce.
Des ablutions à la rivière Klang : Jusqu’au début du XXᵉ siècle, la mosquée ne disposait pas d’eau courante. Les fidèles descendaient directement à la rivière Klang pour effectuer leurs ablutions. Une scène difficile à imaginer aujourd’hui, au milieu des étals de Jalan Masjid India.
Un style marqué par l’Inde du Sud : Bien que reconstruite dans les années 1960, Masjid India garde des traits architecturaux hérités des communautés qui l’ont fondée : minaret élancé, coupoles bulbeuses, arcs légèrement festonnés… un clin d’œil chaleureux aux racines dravidiennes.
Une triple métamorphose en 20 ans : 1998, 2002, 2015… Peu de mosquées au cœur de Kuala Lumpur ont connu autant de phases d’agrandissement et de modernisation en si peu de temps.


Une mosquée dans un quartier indien… et pourquoi pas un temple ?

Pour un visiteur fraîchement débarqué, le décor peut prêter à confusion. On déambule parmi les échoppes de bangles, les saris éclatants, les effluves de masala dosa, les vendeurs de jasmin pour les offrandes… et soudain se dresse Masjid India, majestueuse, posée là comme si elle avait toujours surveillé les ruelles du quartier. On pourrait se dire : dans un quartier indien, un temple hindou ne serait-il pas plus « logique » ?

Justement : l’histoire, une fois de plus, remet les pendules à l’heure.

Le terme « Little India » renvoie aujourd’hui à une ambiance, un commerce, une esthétique… mais à l’origine, le quartier n’était pas majoritairement hindou. Ce secteur de Kuala Lumpur s’est développé autour des marchands musulmans indiens, notamment du Coromandel, du Gujarat et du Bengale, arrivés bien avant les vagues migratoires hindoues. Ces marchands n’ont pas seulement apporté des tissus et des épices : ils ont aussi apporté leur foi, leurs traditions, et le réflexe – très pragmatique – de bâtir une mosquée là où la communauté s’enracinait.

Résultat : Masjid India est antérieure à la plupart des temples du secteur. Elle était là avant que le quartier n’adopte son identité actuelle de « Little India ». L’évolution commerciale, elle, est venue plus tard, entraînant les couleurs, les odeurs et les symboles hindous qui donnent aujourd’hui à la rue son caractère si reconnaissable.

Bref :
La mosquée est là parce que le quartier était historiquement musulman.
– Le quartier est devenu indien, mais de manière plurielle, accueillant commerçants musulmans, hindous, sikhs, tamouls, gujaratis…
– Et au milieu de ce joyeux patchwork culturel, Masjid India a simplement continué d’exister, témoin discret mais tenace de ses origines.