
Jaganta le village de Mon Grand Père
Découverte de Jaganta.
Niché à 2,5 kilomètres de Las Parras de Castellote, dans la province de Teruel, Jaganta est l’un de ces hameaux d’Aragon que le temps semble avoir oubliés. Et pourtant, lorsque l’on s’y rend, quelque chose de profond nous saisit. Un calme ancien, une mémoire encore vivante, presque palpable. C’est ici que résonnent les souvenirs de mon grand-père. Et c’est ici que je suis revenu, poussé par un besoin instinctif de retrouver mes racines.
Les murs de Jaganta, patinés par les siècles, parlent encore. Ils racontent la vie rude et simple d’un village tourné vers la terre, l’olive, la foi. À chaque coin de rue, le silence a quelque chose de sacré.
Le moulin à huile : mémoire d’un savoir-faire ancestral
L’un des joyaux de Jaganta est sans conteste l’ancien moulin à huile, érigé au XVIIe siècle et restauré avec soin en 1995. Il illustre parfaitement le procédé préindustriel de la fabrication de l’huile d’olive, emblématique du Bas-Aragon. On y découvre une meule de pierre autrefois actionnée par une bête de somme, menant la pâte vers une impressionnante presse en bois. Une poutre massive, lestée par un contrepoids ou une énorme pierre, appliquait la pression nécessaire à l’extraction de l’or liquide. Ensuite, par un système de décantation naturelle, les différents éléments étaient séparés.

Entrer dans ce moulin, c’est faire un bond dans le passé, et entendre presque les voix de ceux qui travaillaient ici, dans l’odeur de l’huile et la poussière des pierres.

L’église, la halle, la fontaine : les lieux de la communauté
Non loin du moulin, l’église San Felipe y Santiago, construite au XVIIIe siècle, attire le regard par son style baroque simple mais élégant. Le porche, daté de 1742, marque l’entrée d’un édifice autrefois central dans la vie spirituelle des habitants. À l’intérieur, le maître-autel et les sept chapelles latérales témoignent d’une ferveur aujourd’hui assoupie, mais toujours perceptible.



Face à l’église, on découvre la halle aux deux arcades, édifiée en 1866, probablement utilisée autrefois comme lieu de marché ou de réunion. Et en contrebas, dans une atmosphère paisible, la Fuente de los Cipreses murmure encore l’eau fraîche, invitant à une halte silencieuse.



Le lavoir – Miroir d’un quotidien disparu

Blotti à l’écart des rues principales, souvent ombragé par un figuier ou bordé de pierres moussues, le lavoir de Jaganta raconte à sa manière la vie quotidienne d’autrefois. Là où l’on lavait le linge, on lavait aussi les peines, les nouvelles, les rumeurs et les silences.
Les femmes du village, agenouillées au bord de l’eau claire, y échangeaient des bribes de vie, des recettes, des prières ou des colères. C’était un lieu de labeur et de lien social, un théâtre d’intimité communautaire, rythmé par le clapotis des planches à laver.
Aujourd’hui, le lavoir est souvent désert, mais il respire encore l’âme des générations passées. La pierre y est usée, l’eau y coule parfois encore – et si l’on tend l’oreille, on pourrait presque entendre le bruissement des tissus et les voix du passé.
L’Ermitage de San Pedro Mártir – Un sanctuaire discret au cœur de la campagne aragonaise
Isolé sur une légère élévation à la sortie du village, l’ermitage de San Pedro Mártir veille silencieusement sur Jaganta. Il offre un panorama paisible sur les alentours, entre champs, collines et cyprès clairsemés. Ce petit sanctuaire, probablement érigé à l’époque moderne, rappelle l’ancrage profond du spirituel dans la vie rurale.
L’ermitage est dédié à San Pedro Mártir, saint dominicain du XIIIe siècle, souvent invoqué pour sa défense de la foi. S’il reste sobre dans son architecture, il n’en est pas moins chargé d’une atmosphère singulière, presque mystique, surtout lorsqu’on le visite seul, en fin de journée, lorsque la lumière rase les pierres.

Chaque année, autrefois, les villageois y montaient en procession lors de la fête du saint, marquant un temps de retrouvailles, de prières et de partage.
Aujourd’hui, il reste un lieu de mémoire, de silence et de contemplation. L’intérieur abrite encore un autel simple, parfois fleuri par des visiteurs de passage, et les murs témoignent du passage du temps, comme autant de rides sur le visage d’un ancien.
Casa Espada : une maison d’héritage
Mais ce qui m’a profondément touché, c’est de retrouver la Casa Espada, une maison rurale datant de 1626, aujourd’hui restaurée avec goût dans un style rustique et chaleureux. Elle appartient à une tante éloignée, gardienne discrète de ce patrimoine familial. La maison propose six chambres doubles, deux salles de bains, une grande pièce à vivre avec cuisine, ainsi qu’une terrasse ensoleillée. Le rez-de-chaussée abrite un petit musée qui évoque la vie d’autrefois : outils agricoles, objets domestiques, souvenirs d’un monde rural disparu mais pas oublié.

Séjourner à la Casa Espada, c’est s’imprégner de l’âme du village. C’est aussi, pour moi, une manière intime de marcher dans les pas de mon grand-père, de dormir sous le même toit que ses ancêtres.




Un bar sans patron : la confiance en héritage

Jaganta possède aussi un lieu unique, presque utopique : un petit bar associatif, sans barman, sans caissier. Le local est ouvert. On se sert soi-même, on note ce que l’on consomme, et on paie plus tard, en toute honnêteté. Ici, la confiance fait loi. On est tous un peu les patrons, un peu les clients, mais surtout des voisins, des enfants du village ou des visiteurs respectueux. Ce lieu simple incarne à lui seul l’esprit de Jaganta : authenticité, entraide, humanité.
Le cimetière aux pierres gravées d’Espada – Écho d’un nom, mémoire d’un monde
À la sortie de Jaganta, en contrebas d’un petit chemin de terre, le cimetière du village repose dans le silence. Peu de tombes, mais un détail saisissant : un nom, répété sur plusieurs stèles, comme une signature du temps – Espada. Le nom de mon grand-père. Une émotion simple et brute, comme un fil tiré depuis les siècles jusqu’à moi.
Devant ces pierres, j’ai ressenti un lien profond avec mes racines. Ici reposent peut-être des cousins lointains, des ancêtres oubliés. La poussière du temps n’efface pas les noms, elle les révèle parfois, au détour d’un voyage.
Et comme un clin d’œil du destin, ce cimetière Espada m’évoque un autre, plus lointain, plus célèbre : le Cementerio de Espada, premier cimetière officiel de La Havane, fondé en 1806 dans le quartier de San Lázaro, démoli en 1908. Il portait lui aussi ce nom – Espada – en hommage à l’évêque José Díaz de Espada y Landa. Un nom qui traverse les siècles, les terres, les mémoires.













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