Villa Coghinas Sardaigne

Un rêve industriel oublié au bord du lac

À la fin des années 1920, la construction du barrage sur le lac Coghinas permit de produire une quantité d’électricité largement supérieure aux besoins de la Sardaigne, alors peu industrialisée. De cette abondance naquit un projet audacieux : utiliser cette énergie pour produire des engrais chimiques, d’abord pour l’île, puis pour l’exportation vers la péninsule italienne.

Le plan prévoyait une usine d’ammoniac à Coghinas, alimentée par l’électricité locale, et une seconde usine de transformation à Oschiri, près de la gare, où l’ammoniac serait acheminé pour fabriquer l’engrais. Le procédé reposait sur une technologie novatrice développée par Giacomo Fauser, alors encore en phase d’expérimentation à l’échelle industrielle.

Pour diriger cette initiative, on fit appel au Dr Guglielmo Fadda, jeune chimiste diplômé de l’Université de Cagliari. Malgré son manque d’expérience, il parvint à résoudre nombre de problèmes techniques et à s’imposer face aux ingénieurs les plus chevronnés, dont Fauser lui-même et un futur prix Nobel de chimie, qui venaient régulièrement inspecter le site.

L’histoire, pourtant prometteuse, s’interrompt brutalement au début des années 1960. Aujourd’hui, le cottage de l’usine, longtemps considéré disparu, est toujours là, tapi sous les ronces. La maison, jamais reliée à l’électricité malgré la centrale à proximité, a abrité une famille vivant dans le froid et l’ombre d’un progrès qu’elle n’a jamais pu toucher.

Son origine reste floue, mais on pense qu’elle fut construite par Amerigo Boggio Viola, entrepreneur de Biella à l’origine de nombreux bâtiments à Coghinas. La villa, d’une architecture unique mêlant bitume, bois et béton armé, est aujourd’hui figée dans une gangue de végétation. Abandonnée mais épargnée du vandalisme par son isolement, elle conserve encore les traces d’une vie passée : flacons de médicaments, lits pliants, sacs de désherbant Shell. Témoins silencieux d’un rêve industriel enseveli sous les ronces.