Caodaïsme, une religion de humaniste.
Vietnam spirituel
Dans ce premier texte, je vais vous parler d’une religion née au début du XXème siècle dans le Sud du Vietnam : le Caodaïsme est une synthèse de toutes les religions et est considéré comme une religion humaniste.
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Caodaïsme, religion humaniste
Le Saint-Siège se trouve à 80 kilomètres au nord de Hồ Chí Minh ancien « Saigon ».
De tout temps, au Vietnam du Sud, les sectes religieuses ont proliféré. Croyances et superstitions marquent encore les actes de la vie quotidienne. Même les hommes politiques, avant de prendre une décision, consultent parfois la cartomancienne ou le chiromancien. L’époque coloniale a connu une multiplication des sociétés secrètes souvent animées par des bonzes et des sorciers. Elle a surtout vu, sinon suscité, dans la partie méridionale du pays, réclusion de deux grandes sectes politico-religieuses, celles des Hoa-Hao et des caodaïstes.
Je me suis documenté sur le caodaïstes et très vite j’ai compris qu’il me fallait aller passer quelques jours dans la petite ville de Tây Ninh pour voir et comprendre de mes yeux cette religion qui vénère à la fois Bouddha et Jésus, et qui place Victor Hugo, Louis Pasteur et Winston Churchill dans le Panthéon de ses Saints.
Tay-Ninh est, le Saint-Siège du caodaïsme, sorte de syncrétisme religieux.
Caodaïsme est une religion combinant le christianisme, le bouddhisme, l’islam, le confucianisme, l’hindouisme, le jaïnisme et le taoïsme. Autrement, le Caodaïsme est une synthèse parfaite des religions les plus puissantes du monde
On reconnaît les églises caodaïstes à leur architecture avec deux tours frontales comme des clochers, l’œil de Cai Dai est représenté sur le devant et le style des tours arrières ainsi rappelle celui des mosquées. La façade est de couleur jaune-orange avec des motifs en rouge et en bleu. C’est Bouddha qui est installé à la place la plus haute sur la façade avant. Toutes les églises du Caodaïsme suivent rigoureusement la même architecture.
Le Saint-Siège du Caodaïsme occupe un terrain de plusieurs hectares au centre de la bourgade de Tay Ninh.
Le Caodaïsme a été fondé dans le premier quart du XXème siècle dans le sud du Vietnam qui s’appelait alors la Cochinchine, partie de l’Indochine dominée par les colonisateurs français,.
Un fonctionnaire vietnamien du nom de Ngô Van Chiêu, au service de l’administration française, passionné par les religions, commence à pratiquer le spiritisme avec ses collègues. Un esprit, qui dans un premier temps refuse de donner sa véritable identité, lui ordonne de créer une nouvelle religion. Nous sommes en 1921, Ngô Van Chiêu a 43 ans. Le petit groupe s’intéresse aussi à la franc-maçonnerie.
Le soir du 24 décembre 1925, comme à son habitude, le groupe de fonctionnaires fait tourner les tables. L’esprit se révèle sous le nom de Cao Daï (l’Être Suprême). Le Caodaïsme est né. L’Être Suprême sera désormais représenté par un œil ouvert sur un globe qui représente la terre. Depuis ce jour, « l’œil de Dieu » figure sur tous les autels de la jeune religion.
Ngô Van Chiêu ne veut pas devenir le premier Pape du Caodaïsme, il sera appelé « L’Ainé des Caodaïstes ». C’est Lê Van Trung, que les séances de spiritisme à fait renoncer à son athéisme, qui va devenir le premier Pape.
La philosophie du Caodaïsme
Le but de toutes les religions est l’amélioration de l’être humain, seule la pratique change en fonction des différences de culture et d’environnement.
La synthèse voulue par le Caodaïsme veut reprendre les bases philosophiques des religions anciennes.
Dans leur philosophie, les Caodaïstes placent les 5 règles morales du Bouddhisme (qui font également partie des 10 commandements chrétiens) :
Ne pas tuer.
Ne pas voler.
Ne pas commettre d’impureté.
Ne pas mentir.
Ne pas boire d’alcool.
Ils placent le respect de la vie comme une priorité. Le respect des animaux se concrétise par un végétarianisme strict.
Le Caodaïsme enseigne le respect des arbres, « Nul n’ignore les services que nous rendent les arbres de toutes espèces. Bienfaiteurs silencieux de l’homme, ne blâmant ni son ingratitude, ni sa cruauté, ils abritent indifféremment de leur ombrage tous veux qui viennent s’asseoir à leur pied, le voyageur fatigué aussi bien que le bûcheron méchant.
Les plantes constituent une véritable pharmacie naturelle où nous puisons toutes sortes de panacées propres à guérir nos maux.
A l’entrée du terrain qui forme le Saint-Siège on peut lire : « Dai Dao Ky Pho Dô », qui veut dire « grande religion de la troisième révélation ».
La première vague de révélation correspond à Moïse recevant les dix commandements, et à tous les Prophètes de la Bible qui ont conversé avec Dieu. En Asie, à l’Empereur mythologique Fuxi qui est à la base de la culture chinoise est le premier être à avoir reçu la révélation divine.
La deuxième vague de révélation comprend le Bouddha Sakyamuni (qui est à l’origine du Bouddhisme), Lao Tseu (qui a fondé le Taoïsme), Confucius (pour le Confucianisme), Jésus-Christ (pour le Christianisme), Mahomet (pour l’Islam).
La troisième révélation au groupe de fonctionnaire de Cochinchine qui a fondé le Caodaïsme sur la base des religions du passé. Cette troisième révélation, accomplie par spiritisme est censée être le dernier grand rassemblement avant le Jugement Dernier. C’est pour cette raison que l’on qualifie souvent le Caodaïsme de religion « millénariste ».
« Le Caodaïsme se donne la mission de concilier et d’unir les différentes religions dans le même acte d’adoration et d’amour à l’égard de l’Être Suprême, du « Cao Daï ».
La foi commune sauvera l’humanité de ses conflits et de ses discordes, dans la conciliation, et lui donnera l’ordre et la paix, dans l’union. » (Pierre Bernardini, voir bibliographie)
Dans les temples, au-dessus du grand autel sont placés par ordre alphabétique : Bouddha, Confucius, Jésus-Christ et Lao Tseu. Ils sont entourés par les Saints et les Génies.
Parmi les Saints, se trouvent Nguyen Binh Kiem, poète vietnamien célèbre pour avoir rédigé une série de révélation sur l’avenir, on le compare à Nostradamus. Sun Yat-sen, le fondateur de la République de Chine, et Victor Hugo écrivain humaniste français. Une fresque représentant ces trois Saints se trouve dans l’entrée de tous les temples Caodaïstes avec la mention : « Dieu et Humanité, Amour et Justice » (écrit en français, chinois et vietnamien ancien).
Notons au passage, que l’organisation sacerdotale est très structurée. Le Giao Tông (Pape) est le chef de la religion. Deux collèges, l’un masculin et l’autre féminin assistent et administrent la religion selon une hiérarchie bien précise.
Les dignitaires du collège féminin possèdent, à grade égal, les mêmes pouvoirs que leurs homologues masculins. Le grade féminin le plus élevé est celui de Cardinale.
Jeanne d’Arc figure dans le panthéon des Saints du Caodaïsme, elle y représente avant tout l’égalité hommes-femmes.
Les cultes sont célébrés quatre fois par jour à minuit, six heures du matin, midi et six heures du soir. Les visiteurs doivent monter sur les galeries de l’étage pour regarder en silence.
Les fidèles sont tous habillés de blanc avec des petites différences vestimentaires en fonction de leur ancienneté et rang dans la religion. Les femmes se placent sur la gauche et les hommes sur la droite. Tout le monde est en blanc à l’exception du groupe des hommes « sages » qui portent soit du jaune (en référence au Bouddhisme), du rouge (pour le Confucianisme) ou du bleu (pour le Taoïsme).
Les femmes « sages » sont habillées de blanc mais sont rehaussées d’une grande capuche.
Au centre de la galerie supérieure, un orchestre composé d’instruments traditionnels donne le rythme à la célébration faite de méditation et de prosternations.
Dans les années 1930, les fondateurs du Caodaïsme font partie de l’élite vietnamienne proche du pouvoir colon, la masse des adeptes se recrute dans les classes ouvrières et paysannes soucieuses de faire partie d’une organisation structurée, forte et solidaire.
La nouvelle église crée des écoles et un système de sécurité sociale. Dans une Indochine où la société indigène veut se reconstruire, le Caodaïsme se montre proche du peuple. Les Français observent d’un mauvais œil. Les ambitions Caodaï n’ont jamais été très claires.
Le pouvoir français est soupçonneux et prend son temps avant de reconnaître officiellement cette religion (La Fête de l’Avénement du 18 novembre 1926 est souvent vue comme l’agrément de l’autorité coloniale, or aucun document officiel n’a été signé avant 1934). L’implantation du Saint-Siège à Tây Ninh à quelques dizaines de kilomètres du Cambodge cache à peine la volonté de créer une religion transfrontalière, voir un nouvel Etat. La proximité de la Montagne de Ba Den, lieu de pèlerinage khmère n’est pas un hasard. Dès 1926, des missionnaires vont recruter des nouveaux adeptes au Cambodge où la religion gagne du terrain malgré l’opposition royale.
La période sanguinaire des Khmer Rouges va donner un grand coup de frein à l’expansion du Caodaïsme au Cambodge.
L’armée Caodaï. Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, la menace de voir le parti communiste de Ho Chi Minh prendre le pouvoir au Vietnam pousse les colons français à une alliance avec l’église caodaïste.
Du côté Caodaï, Ho Chi Minh est l’ennemi communiste, il est du même bord que Mao Zedong qui a combattu l’héritage de Sun Yat-sen (l’ennemi de mon Saint est mon ennemi).
En janvier 1947, le Caodaïsme se réclame de plus de 2 millions d’adeptes, la France arme près de 2000 caodaïste, une armée religieuse a pris forme.
Pour beaucoup de fidèles, la création d’une branche armée n’est pas en conformité avec la philosophie de la religion.
En 1954 la France perd la bataille de Dien Bien Phu puis signe les accords de Genève. Le Vietnam est indépendant, mais séparé en deux. Le catholique (et pro-américain) Ngô Dinh Diên devient président du Sud. Au nord, le communiste Ho Chi Minh ne renonce pas à réunifier le pays sous sa doctrine.
D’abord opposé au président Diên, le Caodaïsme est désormais une armée de 25’000 soldats dirigée par le général Nguyen Thanh Phuong qui contrôle son territoire. En avril 1955, il se rallie aux forces gouvernementales du Sud-Vietnam du président Diên.
La guerre d’Indochine ne prend fin qu’en avril 1975 avec la victoire du Nord, communiste. Les religions sont placées sous un contrôle strict, la guerre est finie mais une période sombre commence pour beaucoup qui sont forcés à l’exile.
Les Caodaïstes agacent Ho Chi Minh en affirmant qu’ils suivent une idéologie beaucoup plus proche du peuple, plus « communiste » que lui. L’église ne sera pas interdite, mais la liberté de culte restreinte et sous la surveillance constante de l’état.
Religion de révolution nationaliste
Je me pose une question. Si dans un premier temps j’ai vu un regroupement d’humanistes dans les Saints et Génies du Caodaïsme, je me demande si ils n’ont pas plutôt sanctifié ceux qu’ils voient comme des révolutionnaires dans l’histoire.
Parmi les 3 Saints, Nguyen Binh Kiem, le Nostradamus vietnamien a vécu au XVIème siècle une des périodes de guerre civile. Il était le conseiller de ceux qui ont repris le pouvoir et restauré la Dynastie Lê. Pour certains historiens, il était l’éminence grise, le réel pouvoir c’était lui qui le détenait.
Sun Yat-sen est celui qui a fait tomber le dernier empereur de la dynastie Qing en Chine. Il a crée le Kuo Min Tang (parti nationaliste chinois), placé le général Chang Kaï Check à sa tête et fondé la première République de Chine (c’est lui le premier révolutionnaire chinois). Rappelons que le Caodaïsme est né à la fin de l’année 1925, quelques mois après la mort de Sun Yat-sen. Son esprit se serait rapidement manifesté lors des séances de spiritisme organisées par les fondateurs de la religion.
Victor Hugo, qui fut royaliste dans la première partie de sa vie, va devenir défenseur des plus démunis et politicien républicain. Rejetant les extrêmes, il défend une voie du milieu qui voudrait que la société se refonde de l’intérieur. « La construction d’une société égalitaire ne saurait découler que d’une recomposition de la société libérale elle-même » écrit-il. Victor Hugo, alors exilé sur l’île de Jersey depuis le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en France pratiquait le spiritisme. Il y aurait eu la vision qu’il allait devenir le prophète d’une nouvelle religion.
Pourquoi donc les Caodaïstes ont-ils choisi des hommes qui ont mené des combats contre l’autorité dans le désir de réformer la société ?
En 1925, dans l’Indochine française, la nouvelle classe de lettrés « à la française » veut affirmer son existence et se créer une identité nationale. Ils suivent par là l’exemple de Sun Yat-sen en Chine.
« Exacerbée par l’impossibilité de s’épanouir au sein du régime colonial et déçue dans son amour propre par l’ostracisme que lui manifestait le Gouvernement Général de l’Indochine, cette élite n’allait pas tarder à réagir. Son action allait revêtir toutefois des formes diverses: tentatives révolutionnaires et révoltes politiques, adhésion à des sociétés secrètes ou à des sectes. » (Pierre Bernardini, voir bibliographie)
En 1925, les Vietnamiens ont le sentiment d’un vide religieux: Ils se méfient du Christianisme, religion du colonisateur. Ils se sentent dispersés dans plusieurs cultes dont les origines viennent de l’ancien occupant chinois. Beaucoup de Vietnamiens souhaitent élaborer une religion, une doctrine de foi qui lui soit propre, qui soit le ciment de cette identité nationale vietnamienne, ils s’orientent par conséquent vers un syncrétisme religieux.
A quinze kilomètres de Tây Ninh se dresse la montagne sacrée de Ba Den, haute de 996 mètres. Il s’agit d’un volcan éteint. Ce lieu de pèlerinage dédié à une divinité khmère attire un très grand nombre de visiteurs dont beaucoup viennent du Cambodge voisin.
Aujourd’hui
Selon les statistiques officielles du Vietnam (2014), le Caodaïsme compte 4,4 millions de fidèles au Vietnam, il s’agit de la troisième religion de pays après le Bouddhisme Mahayana et le Catholicisme. (Dans ce pays de 90 millions d’habitants, il faut compter 73% de non-croyants). On compte plus de 1200 églises caodaïstes, principalement dans le Sud du Vietnam (ancienne Cochinchine) et au quelques unes au Cambodge.
Un simple voyageur qui s’intéresse à ce qu’il voit, qui prend le temps d’arpenter les régions traversées, qui aime regarder par dessus les murs ou pousser les portes entrouvertes, qui prend des centaines de photos, et qui aime se documenter et poser des questions pour mieux comprendre. Je ne suis pas journaliste, je ne suis pas écrivain, je ne suis pas photographe, je suis simplement curieux.