Les lampadaires du Cinc d’Oros

Un chef-d’œuvre moderniste déplacé

En 1907, dans le cadre de l’urbanisation accélérée de l’Eixample, la municipalité de Barcelone entreprend le réaménagement du grand carrefour entre l’Avinguda Diagonal et le Passeig de Gràcia, à l’époque l’un des points névralgiques de la ville nouvelle. Ce projet ambitieux est lancé en hommage à Francisco Pi i Margall, président éphémère mais influent de la Première République espagnole.

Pour l’occasion, la ville fait appel à Pere Falqués i Urpí, architecte municipal déjà célèbre pour avoir dessiné l’année précédente (en 1906) les 31 bancs-lampadaires du Passeig de Gràcia, chefs-d’œuvre de mobilier urbain moderniste.

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Un carrefour devenu légende : le « Cinc d’Oros »

Avant même l’intervention de Falqués, le carrefour était déjà surnommé par les habitants le « Cinc d’Oros » (le cinq d’or), en raison de la forme géométrique des cinq îlots circulaires qui s’y croisaient, rappelant les cinq points d’une carte à jouer. Ce surnom pittoresque est resté, même après l’aménagement moderniste du site.

Falqués conçoit alors six lampadaires monumentaux, érigés comme de véritables sculptures verticales, dans le pur style du modernisme catalan. Pour la réalisation, il s’entoure de deux artistes renommés :

• Alfons Juyol i Bach, sculpteur spécialisé dans la pierre,
• Manuel Ballarín Lancuentra, maître ferronnier, auteur de nombreux éléments décoratifs urbains à Barcelone.

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Une œuvre à la croisée des arts

Chaque lampadaire est une composition sophistiquée :

• La base est un socle en pierre de Figueres, richement orné de motifs végétaux stylisés, en parfaite harmonie avec l’esthétique naturaliste du modernisme.
• De ce socle s’élève un obélisque élancé, également taillé dans la pierre, conférant à l’ensemble une verticalité solennelle.
• Vient ensuite la partie métallique : une flèche néogothique en fer forgé, enrichie de volutes et de sinuosités, supportant quatre bras courbés, chacun coiffé d’un globe lumineux.

Le fer forgé, ici, n’est pas un simple support fonctionnel : il devient décor végétal, élan poétique, fusionnant avec la pierre pour créer un tout indissociable.

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Une disparition silencieuse, une renaissance tardive

Avec les transformations urbanistiques de l’après-guerre, ces lampadaires majestueux ne sont plus en phase avec les nouvelles exigences de la circulation automobile. En 1957, ils sont démontés et entreposés dans un hangar municipal, loin des regards, comme oubliés par une ville en pleine modernisation.

Il faudra attendre 1985 pour qu’ils soient redécouverts, restaurés et enfin réinstallés — mais non plus à leur emplacement d’origine. On les retrouve aujourd’hui sur l’Avinguda Gaudí, non loin de la Sagrada Família, où ils trônent avec une nouvelle dignité, entre l’élan gothique de la basilique et les lignes rationalistes de l’Hospital de Sant Pau.

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De la Diagonal à l’Avinguda Gaudí : la mémoire déplacée

Le déplacement des lampadaires du Cinc d’Oros reflète l’histoire mouvementée de Barcelone : une ville qui change, qui modernise, mais qui sait parfois revenir à ses chefs-d’œuvre oubliés.
Ce mobilier urbain, initialement conçu pour un carrefour monumental, est aujourd’hui intégré à un nouvel axe symbolique de la ville — l’avenue piétonne qui relie deux joyaux modernistes : la Sagrada Família et l’Hospital de Sant Pau.

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Les lampadaires du Cinc d’Oros sont bien plus que de simples réverbères. Ils incarnent l’élégance du modernisme, la richesse du travail collectif entre architecte, sculpteur et forgeron, et la capacité de Barcelone à faire revivre son passé artistique dans ses espaces publics.

Que ce soit au cœur du Passeig de Gràcia ou dans l’ombre de la Sagrada Família, l’œuvre de Pere Falqués continue de rythmer la ville de son élégance minérale et métallique, témoignant de cette époque où même la lumière publique était une affaire d’art.