Urbex Sardaigne

L’Hôtel abandonné Turas à Bosa Sardaigne

Une parenthèse hors du temps entre mer sauvage et passé figé.

Il y a des lieux que l’on découvre volontairement… et d’autres dans lesquels on tombe presque par hasard, guidés par cette intuition de voyage qui nous pousse à suivre un chemin « juste pour voir ». L’Hôtel Turas, à Bosa, appartient à cette seconde catégorie : un endroit qui ne figurait pas nécessairement au programme, mais qui a fini par s’imposer comme le cœur inattendu de notre journée.
Tout avait pourtant commencé de manière bien plus simple : nous cherchions une plage.


Comme souvent en Sardaigne, tout commence par un conseil glissé mine de rien, un lieu évoqué du bout des lèvres, presque comme un secret. On nous avait parlé d’une plage magnifique, plus sauvage, moins fréquentée, un rivage où l’on peut respirer loin des serviettes trop rapprochées. Une plage qui se mérite, disait-on. Dit comme ça, il ne nous en fallait pas davantage.

Alors nous avons suivi la route, attirés par la réputation de la Spiaggia di Turas. Et dès que nous nous sommes approchés du rivage, nous avons compris qu’elle avait du caractère. Le vent ne se contente pas de souffler ici : il s’impose, il modèle la mer, il forge des vagues dont les surfeurs et véliplanchistes raffolent.

Depuis le parking, on distingue déjà, au loin, ces silhouettes qui défient l’élément liquide avec une désinvolture bien rodée. Même quand la plage semble vide, il y a toujours un mouvement, une voile, un éclat d’écume. Turas n’est jamais statique.

Et le décor terrestre n’a rien à envier à la mer. La plage est bordée par un écrin de végétation méditerranéenne, dense, odorante, presque secrète. C’est un territoire où la nature a encore le dernier mot, un refuge pour plusieurs espèces protégées. Il suffit parfois de lever les yeux pour voir le balbuzard pêcheur tracer un arc impeccable dans le ciel avant de plonger droit vers l’eau. Les mouettes, quant à elles, assurent la bande-son — disons… avec application.

Nous cherchions un endroit paisible où poser nos pas, un coin authentique et moins domestiqué, et la plage de Turas nous a offert exactement cela. Mais la Sardaigne aime bien surprendre : derrière un paysage naturel, elle cache souvent une histoire. Et derrière une plage battue par les vents… se cache parfois un hôtel abandonné.


L’Hôtel Turas : un passé figé derrière une porte close
Perché au-dessus de la plage, l’Hôtel Turas semble observer la mer comme un vieux marin qui aurait trop vu. Le 31 mai 2007, le dernier locataire a tourné la clé une dernière fois. Depuis, personne n’y est revenu. Construit dans les années 1960, il n’a pas résisté au lent effondrement du tourisme dans la Planargia. Les étés sont devenus timides, les voyageurs plus rares, et l’hôtel a glissé silencieusement vers l’oubli.
Quand on franchit son seuil aujourd’hui, on ressent cette impression très particulière que connaissent bien les adeptes de l’exploration urbaine : celle de pénétrer dans un passé figé. Tout semble encore respirer la présence de ceux qui ont vécu ici : les couloirs silencieux, les chambres en suspens, les objets laissés comme en attente d’un retour qui n’aura jamais lieu. On avance doucement, presque à pas feutrés, comme si une porte pouvait soudain s’ouvrir et laisser apparaître quelqu’un qui aurait simplement « oublié de partir ».
C’est ce charme discret du déclin, cette atmosphère de temps arrêté, qui rend l’endroit fascinant. L’Hôtel Turas n’accueille plus de voyageurs, mais il raconte encore, dans son immobilité poussiéreuse, des fragments d’un passé balnéaire aujourd’hui révolu.


Les vestiges militaires : le souffle de l’Histoire sur la falaise
À quelques pas seulement, le décor change brusquement. En quittant l’hôtel, on passe de la nostalgie touristique aux traces plus rugueuses de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs bunkers et un fort, construits entre 1940 et 1943, dominent la côte. Leur mission, à l’époque, était claire : surveiller la mer, anticiper l’ennemi, protéger le littoral.


Perchées sur la falaise, ces structures imposent encore le respect. Leur silhouette circulaire coiffée d’un dôme — la casemate — semble toujours attentive, presque en alerte. On croirait qu’elles scrutent encore l’horizon, même si la menace a été remplacée depuis longtemps par le vol des cormorans et le passage paresseux des voiliers.


Ces fortifications, figées mais puissantes, donnent au paysage une profondeur inattendue. Elles ancrent la plage et l’hôtel dans une histoire plus vaste, une histoire où le loisir, l’abandon et la guerre se côtoient sans jamais vraiment dialoguer.


Entre plage sauvage, hôtel fantôme et fortifications battues par le vent
C’est ainsi que, sans l’avoir vraiment prévu, nous nous sommes retrouvés à explorer un condensé de Sardaigne : une plage vivante et farouche, un hôtel oublié des hommes, et des vestiges militaires qui veillent encore. Trois époques, trois atmosphères, trois récits qui se croisent sans se mélanger.
Et nous, au milieu, avançant entre ces mondes avec cette sensation rare d’être à la fois ailleurs et pleinement présents.
Ce jour-là, nous étions partis pour trouver une plage. Nous avons trouvé bien plus : un lieu où le temps se déplie, où la nature domine, où l’histoire affleure. Un endroit que l’on n’avait pas prévu d’aimer autant — et qui reste, aujourd’hui encore, l’une de ces surprises qui font la beauté d’un voyage.