Street Art Sardaigne

Sur les routes de la Planargia

Après une journée passée à Bosa, entre les ruelles colorées et les reflets du fleuve Temo, l’envie vient de prendre la route, de s’éloigner un peu de la mer pour découvrir cette autre Sardaigne, plus intime et plus silencieuse : la Planargia.

Ce territoire de collines volcaniques, de vignes et de villages suspendus, porte en lui un trésor discret : l’art mural.
Ici, chaque mur raconte la vie d’hier, chaque façade devient un livre ouvert sur la mémoire collective.

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Suni, balcon sur la Planargia
La route grimpe doucement depuis Bosa. En quelques virages, la mer disparaît derrière les collines et le paysage s’ouvre sur un horizon de champs et de vignes.
Le premier arrêt se fait à Suni, un petit village de pierre posé sur son promontoire.
Ses ruelles calmes, son panorama sur la vallée du Temo et ses vestiges nuragiques en font une étape pleine de charme, un lieu où l’histoire semble respirer à travers la pierre.
👉 Lire l’article complet sur Suni, balcon sur la Planargia

En quittant le village, la route ondule entre les champs et les oliviers. Quelques kilomètres plus loin, un nom attire l’œil sur un panneau : Tinnura


Tinnura, musée à ciel ouvert
Tinnura est un enchantement. Ce petit village de la Planargia a fait de l’art sa raison d’être. Les façades se couvrent de fresques monumentales, les places se parent de sculptures, les murs racontent la vie quotidienne, les gestes anciens, les saisons de la terre.


Chaque coin de rue devient une scène, chaque maison une galerie à ciel ouvert.
👉 Découvrir Tinnura, village d’art de la Planargia

Après avoir flâné le long de la Via Nazionale et de la Piazza del Sole, nous rejoignons le village de Flussio


Flussio, l’art du tressage et des murales

À la suite du village de Tinnura, Flussio s’étire paisiblement sur les pentes du Montiferru.

Le village est réputé pour son artisanat traditionnel, notamment le tressage de l’asphodèle, une plante méditerranéenne utilisée pour fabriquer paniers, corbeilles et objets du quotidien.

👉 Notre article sur les Asphodèles de Flussio

Deux murs, deux univers : la douceur d’un rêve effacé et la puissance d’un mythe, réunis sur la même rue, au cœur de Flussio.

Au bout de la Via Eleonora d’Arborea, l’une des artères principales menant à la petite Piazza Santa Rughe, les anciennes fresques religieuses ont été remplacées en 2021 par des œuvres rendant hommage aux femmes du village, tressant patiemment les longues tiges d’asphodèle. Cette fresque résume à elle seule l’âme du lieu — entre mémoire, beauté et humilité.


Non loin de là, la façade du municipio attire elle aussi le regard : entièrement recouverte d’une fresque contemporaine aux motifs géométriques, elle évoque les formes spiralées et les entrelacs des paniers d’asphodèle, symbole du village. Entre abstraction et hommage au geste artisanal, cette œuvre traduit à merveille l’esprit de Flussio — un lieu où la tradition se réinvente à travers l’art.


👉 Voir les anciennes fresque de Flussio


Sagama, la mémoire en couleurs
En quittant Flussio, la route s’élève à nouveau, serpentant à travers les champs de basalte et les vignes de Malvasia.
Sagama apparaît soudain, accrochée à la pente, comme figée dans le temps. Ici, tout semble immobile, presque recueilli.


Le village ne compte que très peu de fresques, mais chacune d’elles mérite qu’on s’y arrête.

Située à l’entrée du bourg, la première fresque rend hommage aux anciens du village.
Sur la gauche, un vieil homme sur son âne revient de la laiterie ; à l’extrême droite, le banc est complet : quatre vieux Sardes discutent, gesticulent, rient.
Au centre, deux femmes, assises sur leurs chaises, profitent du soleil tout en travaillant de leurs mains. Une scène simple, sincère, profondément humaine.


La seconde fresque, sur la place du village, fait face à la Chiesa di San Gabriele Arcangelo.
Elle représente un office religieux, vibrant de ferveur populaire.


La troisième évoque une scène de la vie rurale sarde : celle d’un artisan fabricant des tuiles.
Un hommage discret à un savoir-faire traditionnel.


A noter : Vue sur les réseaux en 2024, une nouvelle fresque, réalisée par Pina Monne, a fait son apparition à proximité de la Chiesa di San Gabriele Arcangelo.
En arrière-plan du monument aux morts, elle représente une femme drapée de vert soutenant un soldat tombé — une Pietà moderne et poignante.
À leurs côtés se dressent les armoiries de la Sardaigne : la croix rouge, les quatre Maures, la couronne royale et deux lions protecteurs.
Au sol, un fusil brisé symbolise la fin du combat — un hommage silencieux aux fils de Sardaigne tombés à la guerre, un cri muet de dignité et de mémoire
.

La Chiesa di San Gabriele Arcangelo, construite au XVIIᵉ siècle, témoigne d’un art maniériste simple et solide.
Surnommée le « trésor de Sagama », elle possède une nef unique couverte d’une imposante voûte en berceau.


On y conserve plusieurs œuvres d’art, dont la plus précieuse : la statue en bois de Saint Gabriel Archange, réalisée au XVIIIᵉ siècle.
Protégée par une châsse derrière la balustrade du presbytère, elle semble saluer les fidèles de son geste éternel.


Curiosité : un village couronné
Les recherches ont montré que le noyau le plus ancien autour duquel Sagama s’est développé était un nuraghe.
Autour de celui-ci s’étendait une véritable couronne de nuraghi.


Aujourd’hui, il n’en subsiste que trois ruines, mais les amateurs d’histoire pourront s’amuser à retrouver les vestiges des anciens murs d’enceinte romains, ou les petites églises de campagne qui rappellent encore cette couronne oubliée.


Scano di Montiferro
En quittant Sagama, la route s’élève en lacets entre les pâturages et les roches sombres du Montiferru. L’air devient plus frais, presque montagnard.
À mesure que nous montons, le silence s’installe — un silence dense, profond, seulement troublé par le bruissement du vent dans les chênes-lièges et le tintement des cloches des troupeaux.
C’est dans cette atmosphère suspendue que Scano di Montiferro apparaît, posé sur un replat de basalte, comme figé dans le temps.


Avec Réglisse, nous avons garé la voiture à l’entrée du village.

Les ruelles étroites grimpent entre les maisons en pierre sombre, témoins d’un passé rural encore bien vivant.



Malgré l’absence de fresques Scano di Montiferro est réputé pour son patrimoine et ses traditions, est surtout pour son carnaval haut en couleurs, l’un des plus authentiques de la Sardaigne intérieure.
Masques ancestraux, costumes impressionnants et rituels symboliques plongent les visiteurs dans une atmosphère à la fois mystérieuse et festive.


Mais à Scano, le véritable trésor se cache au-delà des façades — dans les collines environnantes, où la Sardaigne la plus ancienne continue de vivre à travers ses pierres.
👉 Découvrez le trésor des collines entre les deux villages de Sagama et de Scano Montiferro


Sennariolo, l’art discret de la Planargia
La route continue vers Sennariolo, l’un des plus petits villages de la région. Ici, l’art ne s’affiche pas : il se devine.

Sur les murs des ruelles pavées, quelques fresques racontent la vie rurale d’autrefois : les moissons, la transhumance, les fêtes religieuses.
On y voit des femmes en costume traditionnel, un berger, un âne chargé de fagots… Ces scènes du quotidien composent une fresque diffuse, modeste et sincère, où l’on sent tout l’attachement à la terre.

Les couleurs se sont parfois adoucies avec le temps, mais c’est justement ce qui fait le charme de Sennariolo : un art qui ne cherche pas à impressionner, seulement à préserver la mémoire d’un mode de vie.
👉 Découvrez les murales de Sennariolo


En quittant le centre du village, la route s’enfonce dans un vallon verdoyant. C’est là, à la sortie de Sennariolo, que se trouve les ruines de l’ancienne papeterie savoyarde, connue sous le nom de Sa Fabbrica.

Fondée au XIXᵉ siècle, elle fut l’une des toutes premières industries du territoire, destinée à produire du papier à partir de fibres végétales locales. L’intérieur du bâtiment est effondré, mais les murs extérieurs, les fenêtres et certaines arches sont restés quasiment intacts. L’ensemble de la structure est aujourd’hui enlacée par une végétation luxuriante, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Le contexte est si évocateur qu’on a presque l’impression de se trouver face à des ruines antiques, vestiges d’une époque bien plus lointaine.


👉 Google Maps

Après cette halte empreinte de nostalgie, on reprend la route vers la campagne. Un peu plus loin, isolée au milieu des oliviers, se dresse la petite Cresia de Campu Santu Marcu, une chapelle rurale d’une simplicité émouvante. Son nom, qui évoque un ancien cimetière, ajoute une touche de mystère à ce lieu baigné de lumière et de silence.


En poursuivant encore, la route s’ouvre sur la mer. Sur un promontoire balayé par le vent se dresse la Tour de S’Iscra Ruja (Tower of Ischia Ruggia), fière sentinelle aragonaise dominant la côte. Ses pierres rougeâtres se confondent avec la couleur du rocher, et la vue, immense, embrasse tout le littoral de la Planargia jusqu’aux falaises de Bosa.


Ce détour maritime, à la fois sauvage et apaisant, conclut magnifiquement cette boucle avant de remonter vers le village de Tresnuraghes, perché sur les hauteurs, où l’on retrouve le charme paisible des ruelles et la chaleur discrète de la vie sarde.


Tresnuraghes, entre traditions et patrimoine
Après quelques photos de la « Fabbrica » nous reprenons la route direction Tresnuraghes, la route descend en courbes douces à travers les oliveraies et les champs dorés. Au loin, ce petit village apparaît, blotti sur les pentes du Montiferru, entre mer et montagne. Ce village tranquille cache un riche patrimoine et une âme profondément attachée à ses traditions.
La visite débute par l’église paroissiale di San Giorgio Martire, au centre du bourg.

Sa façade sobre, sa nef unique et ses chapelles latérales abritent de remarquables fresques et un maître-autel finement décoré, œuvre de l’architecte bosanais Antonio Pinna. La coupole, peinte à la fin du XIXᵉ siècle par Emilio Scherer, ajoute une note de grâce inattendue à l’ensemble.

Au cœur du village se trouve le Museo Casa Deriu, une demeure historique qui abrite une partie du mobilier d’origine laissé par les anciens propriétaires, ainsi qu’une remarquable collection de volumes et d’objets anciens.
Ce musée offre un voyage dans le temps, entre culture locale et mémoire familiale, et permet de mieux comprendre la vie quotidienne dans la Tresnuraghes d’autrefois.

Les murales à Tresnuraghes existent, mais elles sont peu nombreuses (2) . Je pense qu’il s’agit d’interventions ponctuelles (entrée du village Via G. B. Tuveri et au numéro 2 Via Santa Lucia ) plutôt que d’un parcours mural structuré comme à Tinnura.


En quittant Tresnuraghes, la route serpente vers Magomadas, un village paisible perché sur une colline dominant la mer. Ici, les murs parlent : plusieurs murali racontent la vie rurale, les fêtes villageoises et la mémoire des anciens.

On sent dans ces peintures une forte identité, un attachement viscéral à la terre et aux traditions sardes.

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Quelques kilomètres plus bas, la route rejoint la côte à Porto Alabe. Le village s’étire entre mer et maquis, offrant une succession de criques et de plages sauvages. La Spiaggia di Noesala, longue étendue de sable doré bordée de falaises ocre, est particulièrement belle au coucher du soleil. Le vent soulève des vagues argentées tandis que le parfum du lentisque et du genévrier emplit l’air.

Avant de rejoindre Bosa, nous faisons un dernier détour par Turas, petit hameau en bord de mer. Là, sur la colline, se dresse la silhouette fantomatique de l’Ex Hotel Turas, un ancien complexe touristique désormais à l’abandon. Ses terrasses éventrées dominent la mer de toute leur mélancolie, vestiges d’une époque où la côte sarde rêvait d’un tourisme balnéaire à grande échelle.
Entre modernité oubliée et beauté intacte du paysage, le contraste est saisissant.

Circuit sur Google
Pittoresque et authentique, Tresnuraghes marque une belle étape sur la route du retour vers Bosa — un lieu où patrimoine, industrie ancienne et traditions rurales se mêlent harmonieusement.


Retour à Bosa, quand la lumière s’endort sur le Temo
En fin d’après-midi, la route redescend vers la mer. Les collines s’ouvrent et la vallée du Temo réapparaît, baignée d’une lumière dorée.
Bosa surgit au détour d’un virage, éclatante, avec ses maisons colorées qui se reflètent dans le fleuve. On retrouve les quais, les bruits familiers, les senteurs du soir.
Sur les terrasses, les habitants discutent à voix basse, les chats traversent les ruelles, et la guitare d’un musicien s’élève quelque part, entre deux façades roses.
Le jour s’achève comme il a commencé, dans une lenteur bienfaisante.
La boucle est bouclée : de Bosa à Bosa, en passant par les villages d’art de la Planargia, on aura parcouru bien plus que des kilomètres. On aura traversé des fragments de mémoire, des paysages de silence et de lumière, des murs qui parlent et des visages qui sourient encore.

👉 On redécouvre Bosa le village arc en ciel