Street Art Sardaigne

Boucle dans la Planargia : sur les routes de l’art et de la mémoire

Après une journée passée à Bosa, entre les ruelles colorées et les reflets du fleuve Temo, l’envie vient de prendre la route, de s’éloigner un peu de la mer pour découvrir cette autre Sardaigne, plus intime et plus silencieuse : la Planargia.
Ce territoire de collines volcaniques, de vignes et de villages suspendus, porte en lui un trésor discret : l’art mural.
Ici, chaque mur raconte la vie d’hier, chaque façade devient un livre ouvert sur la mémoire collective.

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Suni, balcon sur la Planargia
La route grimpe doucement depuis Bosa. En quelques virages, la mer disparaît derrière les collines et le paysage s’ouvre sur un horizon de champs et de vignes.
Le premier arrêt se fait à Suni, un petit village de pierre posé sur son promontoire.
Ses ruelles calmes, son panorama sur la vallée du Temo et ses vestiges nuragiques en font une étape pleine de charme, un lieu où l’histoire semble respirer à travers la pierre.
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En quittant le village, la route ondule entre les champs et les oliviers. Quelques kilomètres plus loin, un nom attire l’œil sur un panneau : Tinnura


Tinnura, musée à ciel ouvert
Tinnura est un enchantement. Ce petit village de la Planargia a fait de l’art sa raison d’être. Les façades se couvrent de fresques monumentales, les places se parent de sculptures, les murs racontent la vie quotidienne, les gestes anciens, les saisons de la terre.
Chaque coin de rue devient une scène, chaque maison une galerie à ciel ouvert.
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Après avoir flâné le long de la Via Nazionale et de la Piazza del Sole, on reprend la route vers le nord. Le paysage se fait plus sauvage, les villages se succèdent dans un calme absolu.


Sagama, la mémoire en couleurs
En quittant Tinnura, la route s’élève à nouveau, serpentant à travers les champs de basalte et les vignes de Malvasia.
Sagama apparaît soudain, accrochée à la pente, comme figée dans le temps. Ici, tout semble immobile, presque recueilli.


Le village ne compte que très peu de fresques, mais chacune d’elles mérite qu’on s’y arrête.

Située à l’entrée du bourg, la première fresque rend hommage aux anciens du village.
Sur la gauche, un vieil homme sur son âne revient de la laiterie ; à l’extrême droite, le banc est complet : quatre vieux Sardes discutent, gesticulent, rient.
Au centre, deux femmes, assises sur leurs chaises, profitent du soleil tout en travaillant de leurs mains. Une scène simple, sincère, profondément humaine.


La seconde fresque, sur la place du village, fait face à la Chiesa di San Gabriele Arcangelo.
Elle représente un office religieux, vibrant de ferveur populaire.


La troisième évoque une scène de la vie rurale sarde : celle d’un artisan fabricant des tuiles.
Un hommage discret à un savoir-faire traditionnel.


A noter : Vue sur les réseaux en 2024, une nouvelle fresque, réalisée par Pina Monne, a fait son apparition à proximité de la Chiesa di San Gabriele Arcangelo.
En arrière-plan du monument aux morts, elle représente une femme drapée de vert soutenant un soldat tombé — une Pietà moderne et poignante.
À leurs côtés se dressent les armoiries de la Sardaigne : la croix rouge, les quatre Maures, la couronne royale et deux lions protecteurs.
Au sol, un fusil brisé symbolise la fin du combat — un hommage silencieux aux fils de Sardaigne tombés à la guerre, un cri muet de dignité et de mémoire
.

La Chiesa di San Gabriele Arcangelo, construite au XVIIᵉ siècle, témoigne d’un art maniériste simple et solide.
Surnommée le « trésor de Sagama », elle possède une nef unique couverte d’une imposante voûte en berceau.


On y conserve plusieurs œuvres d’art, dont la plus précieuse : la statue en bois de Saint Gabriel Archange, réalisée au XVIIIᵉ siècle.
Protégée par une châsse derrière la balustrade du presbytère, elle semble saluer les fidèles de son geste éternel.


Curiosité : un village couronné
Les recherches ont montré que le noyau le plus ancien autour duquel Sagama s’est développé était un nuraghe.
Autour de celui-ci s’étendait une véritable couronne de nuraghi.


Aujourd’hui, il n’en subsiste que trois ruines, mais les amateurs d’histoire pourront s’amuser à retrouver les vestiges des anciens murs d’enceinte romains, ou les petites églises de campagne qui rappellent encore cette couronne oubliée.


Scano di Montiferro
En quittant Sagama, la route serpente entre les collines tapissées d’oliviers et de chênes-lièges. À quelques kilomètres à peine, nous faisons un détour par Scano di Montiferro, un autre village typique du massif.
Les ruelles étroites grimpent entre les maisons en pierre sombre, témoins d’un passé rural encore bien vivant.
Réputé pour son patrimoine et ses traditions, Scano di Montiferro est surtout connu pour son carnaval haut en couleurs, l’un des plus authentiques de la Sardaigne intérieure.
Masques ancestraux, costumes impressionnants et rituels symboliques plongent les visiteurs dans une atmosphère à la fois mystérieuse et festive.

Même hors saison, on ressent ici la force des traditions, la fierté d’une culture transmise de génération en génération.
Après cette parenthèse au cœur du Montiferru, nous reprenons la route vers Sennariolo, un petit village perché, connu lui aussi pour ses fresques murales, qui marquent le retour à la douceur picturale de la Planargia.


Sennariolo, l’art discret de la Planargia
La route continue vers Sennariolo, l’un des plus petits villages de la région. Ici, l’art ne s’affiche pas : il se devine.


Sur les murs des ruelles pavées, quelques fresques racontent la vie rurale d’autrefois : les moissons, la transhumance, les fêtes religieuses.
On y voit des femmes en costume traditionnel, un berger, un âne chargé de fagots… Ces scènes du quotidien composent une fresque diffuse, modeste et sincère, où l’on sent tout l’attachement à la terre.
Les couleurs se sont parfois adoucies avec le temps, mais c’est justement ce qui fait le charme de Sennariolo : un art qui ne cherche pas à impressionner, seulement à préserver la mémoire d’un mode de vie.
👉 Découvrez les murales de Sennariolo


Une fois arrivé dans la ville de Sennariolo par la SS 292, vous atteindrez la papeterie par une route de quartier en direction des églises de campagne nommées d’après Santa Vittoria et San Marco. Il est également accessible depuis le centre urbain de Tresnuraghes, par le SV qui mène au sanctuaire de San Marco puis à la tour côtière de Foghe.

Ancienne papeterie savoyarde, connue sous le nom de Sa Fabbrica. Fondée au XIXᵉ siècle, elle fut l’une des toutes premières industries du territoire, destinée à produire du papier à partir de fibres végétales locales. Les bâtiments de pierre, aujourd’hui gardent le souvenir de cette aventure industrielle audacieuse menée sous l’administration piémontaise. Le lieu, envahi par la végétation, dégage une atmosphère singulière, entre mémoire ouvrière et mélancolie romantique — un décor que le temps semble avoir figé au milieu des collines du Montiferru.


Tresnuraghes, entre traditions et patrimoine
Après Sennariolo, la route descend en courbes douces à travers les oliveraies et les champs dorés. Au loin, Tresnuraghes apparaît, blotti sur les pentes du Montiferru, entre mer et montagne. Ce village tranquille cache un riche patrimoine et une âme profondément attachée à ses traditions.
La visite débute par l’église paroissiale de San Giorgio Martire, au centre du bourg. Sa façade sobre, sa nef unique et ses chapelles latérales abritent de remarquables fresques et un maître-autel finement décoré, œuvre de l’architecte bosanais Antonio Pinna. La coupole, peinte à la fin du XIXᵉ siècle par Emilio Scherer, ajoute une note de grâce inattendue à l’ensemble.

En flânant dans les ruelles, on découvre de belles maisons anciennes, parfois ornées de linteaux sculptés et de balcons en fer forgé.

On découvre La Casa Deriu, une demeure bourgeoise transformée en petit musée, elle nous raconte la vie d’autrefois à travers objets, meubles et revues d’époque. Chaque salle évoque un fragment du quotidien, entre élégance discrète et travail manuel.

Enfin, à quelques kilomètres de Tresnuraghes, les tours aragonaises de Foghe et de Columbargia veillent toujours sur la côte, vestiges d’un temps où l’île devait se défendre contre les incursions venues de la mer.

Ex Hotel Turas


Pittoresque et authentique, Tresnuraghes marque une belle étape sur la route du retour vers Bosa — un lieu où patrimoine, industrie ancienne et traditions rurales se mêlent harmonieusement.


Flussio, entre art et tissage
Quelques kilomètres plus loin, Flussio étire ses ruelles entre les vignes et les champs d’amandiers. Ici, l’art prend la forme du tissage, un savoir-faire ancestral transmis de mère en fille.
Les femmes du village tressent encore les fibres d’asphodèle, une plante locale, pour créer corbeilles, paniers et objets du quotidien d’une élégance rare.
Les fresques de Flussio célèbrent justement ces gestes : des femmes penchées sur leur ouvrage, des mains patientes, un monde de travail et de dignité.
Tout ici parle de savoir-faire et de patience, de beauté discrète née de la répétition des gestes simples.


On comprend alors que dans la Planargia, l’art n’est pas une exception : c’est une respiration naturelle, une façon d’habiter le monde.


Retour à Bosa, quand la lumière s’endort sur le Temo
En fin d’après-midi, la route redescend vers la mer. Les collines s’ouvrent et la vallée du Temo réapparaît, baignée d’une lumière dorée.
Bosa surgit au détour d’un virage, éclatante, avec ses maisons colorées qui se reflètent dans le fleuve. On retrouve les quais, les bruits familiers, les senteurs du soir.
Sur les terrasses, les habitants discutent à voix basse, les chats traversent les ruelles, et la guitare d’un musicien s’élève quelque part, entre deux façades roses.
Le jour s’achève comme il a commencé, dans une lenteur bienfaisante.
La boucle est bouclée : de Bosa à Bosa, en passant par les villages d’art de la Planargia, on aura parcouru bien plus que des kilomètres. On aura traversé des fragments de mémoire, des paysages de silence et de lumière, des murs qui parlent et des visages qui sourient encore.