Cagliari, porte du Sud
Après tant de villages, de montagnes et de côtes sauvages, Cagliari s’impose comme une étape à part — à la fois point d’arrivée et promesse de renouveau. Capitale de la Sardaigne, la ville se déploie entre mer et collines, baignée d’une lumière éclatante qui souligne la beauté de ses ruelles, de ses façades et de ses fresques.
C’est ici que s’achève notre parcours à travers l’île, mais aussi que commence une autre découverte : celle d’une cité vivante, ouverte sur la Méditerranée, où l’histoire ancienne dialogue avec la création contemporaine.
En suivant la route qui relie le parc naturel de Molentargius à Cagliari on découvre la Galleria del Sale — littéralement, la “Galerie du Sel”.
Le nom évoque les salines toutes proches, les vols des flamants roses, la lumière du sud.
Sur les murs longeant le canal, des artistes sardes et internationaux ont peint des fresques inspirées par le dialogue entre l’homme et la nature.

















Les visages, les poissons, les plantes et les symboles se mêlent au bruit de l’eau et au vent venu de la mer.
C’est une promenade étonnante, presque méditative au fur et a mesure que l’on avance et à chaque virage, une nouvelle œuvre apparaît — certaines éphémères, d’autres devenues emblématiques.










La Galleria del Sale est un musée sans porte, sans ticket d’entrée, ouvert à tous, tout le temps.
Pendant notre visite des murales au bord du canal, un léger changement de programme s’impose.
Nous faisons un détour vers le stade Sant’Elia, aujourd’hui en ruines. Le silence règne là où, autrefois, la clameur des supporters faisait vibrer les gradins.


Les tribunes sont toujours là, fantomatiques, couvertes d’une fine poussière et d’éclats de béton. À l’extérieur, des piles de sièges décolorés s’amoncellent, mêlées à des tubes d’échafaudage tordus. Sur l’ancien terrain, les buts subsistent encore, vestiges d’un passé glorieux, mais le gazon a laissé place à une forêt d’herbes folles.





Ce lieu, abandonné mais chargé de mémoire, a quelque chose de profondément poétique. Une beauté brute, presque mélancolique, qui contraste avec l’énergie colorée des murs rencontrés un peu plus tôt.
Et déjà, à l’horizon, Cagliari se déploie : une ville de collines, de toits rouges et de pierres blondes, tournée vers la mer.
Nous la rejoignons par le port, sous le soleil éclatant du Golfo degli Angeli.
Cagliari historique : la ville aux sept collines
Cagliari s’élève en amphithéâtre, et chaque quartier raconte un chapitre de son histoire.
Tout en haut, le Castello veille sur la ville.
Ses ruelles pavées grimpent entre les palais anciens et les vieilles tours de calcaire.
La Cathédrale Santa Maria, avec sa façade claire et son intérieur baroque, abrite les cryptes des nobles aragonais.
Autour, les Torre dell’Elefante et Torre di San Pancrazio dressent leurs silhouettes médiévales au-dessus des toits, tandis que les escaliers débouchent sur des belvédères baignés de lumière.
Du haut des Bastioni di Saint Remy, le panorama s’ouvre sur la mer, les salines et le port.
Au coucher du soleil, les façades s’embrasent et la ville prend des teintes d’or et de cuivre.
Les cafés s’animent, les musiciens s’installent, et la dolce vita sarde se mêle à l’air salé du large.
En descendant vers Stampace, le Cagliari populaire nous accueille.
Les ruelles sentent le café, les processions religieuses laissent des traces de cire sur les pavés, et les petits ateliers ouvrent encore sur la rue.
L’Amphithéâtre romain, creusé directement dans la colline, témoigne du passé antique : jadis théâtre de gladiateurs, il sert aujourd’hui de scène aux concerts d’été.
Tout près de l’amphithéâtre, sur les hauteurs de Stampace, se trouve un lieu à la fois discret et fascinant : le Centro Comunale d’Arte Il Ghetto.
Installé dans un ancien bastion du XVIIᵉ siècle — qui fut jadis un poste militaire espagnol, puis un lieu d’enfermement pour la communauté juive au Moyen Âge — ce centre d’art contemporain est aujourd’hui l’un des plus beaux espaces culturels de Cagliari.
Ses salles voûtées en pierre accueillent des expositions temporaires, souvent consacrées à l’art sarde, au design ou à la photographie.
Mais ce qui frappe avant tout, c’est la manière dont le lieu lui-même raconte une histoire : celle d’un quartier qui s’est relevé, transformé, ouvert à la création.
Depuis la terrasse du Ghetto, la vue embrasse les toits de la vieille ville et la mer au loin — un panorama d’une beauté simple et apaisante.
Ici encore, comme partout à Cagliari, le passé et le présent dialoguent sans jamais s’opposer.
Les murs qui ont autrefois enfermé deviennent aujourd’hui des murs qui exposent, partagent, libèrent.
Tout près, le Jardin botanique offre une oasis de verdure, un lieu de pause sous les palmiers et les figuiers géants.
Enfin, le quartier de Marina, au pied de la vieille ville, bruisse de vie : restaurants, odeurs de poisson grillé, linge coloré suspendu aux balcons.
C’est ici que la mer et la cité se rejoignent, dans un mélange de langues, de visages et de parfums.
Cagliari créative : les murs qui parlent
Mais Cagliari ne se résume pas à ses pierres.
Elle respire à travers ses murs peints, témoins d’une créativité insulaire bouillonnante.
À Pirri, les fresques racontent la mémoire ouvrière et les luttes sociales ; à Stampace, elles s’inspirent de la spiritualité, du folklore, des masques sardes et des femmes du peuple.
À Sant’Elia, les murs s’ouvrent comme des cris : visages puissants, messages d’espoir, silhouettes d’enfants tournées vers la mer.
C’est ici que l’art devient acte de résistance, poésie du quotidien.
La Galleria del Sale, avec ses poissons et ses flamants roses, reste le point d’ancrage : le lieu où l’art urbain dialogue avec la nature.
Mais ailleurs dans la ville, d’autres initiatives fleurissent : festivals de murales, ateliers participatifs, expositions en plein air.
Chaque quartier invente sa propre voix, sa propre couleur.
Et parfois, derrière une porte entrouverte, dans une friche industrielle ou un hangar du port, on découvre un visage tracé à la bombe, un mot écrit à la craie, un dessin effacé par la pluie.
C’est le Cagliari secret, celui de l’urbex et de la création spontanée.
Cagliari, mémoire et renaissance
Ville de lumière et de contrastes, Cagliari se découvre comme un palimpseste : sous chaque couche moderne se cache un fragment d’histoire.
Ses artistes, de Giorgio Casu à Crisa, de Daniele Gregorini à Tellas, redonnent souffle à ses murs et couleur à ses quartiers.
Leur art, profondément enraciné dans la culture sarde, fait le lien entre le passé et le présent, entre la pierre et le pigment.
Cagliari n’est pas qu’une escale.
C’est une rencontre.
Une ville qui vous regarde droit dans les yeux, comme une fresque à ciel ouvert.
