Haute Corse

Le Cap Corse en deux jours

Road trip au Cap Corse avec Réglisse et Sacha.

Une échappée belle au bout du monde, dans une année confinée

C’était l’année du COVID. Celle des couvre-feux, des attestations absurdes, des frontières floues, des voyages annulés. Et pourtant, grâce à ce fichu passe sanitaire — qu’on n’aimait pas mais qui, pour une fois, nous a ouvert une porte — on a pris la route. Cap sur la Corse. Juste avant que l’automne ne se referme comme un couvercle sur notre liberté.

Avec Réglisse, on rêvait d’air iodé et de silence. Le Cap Corse s’est imposé naturellement. Ce bout de terre pointé vers le nord, long de 40 kilomètres, large de 15 à peine. Une péninsule battue par les vents, montagneuse et minérale, sauvage et insaisissable. Une île dans l’île, comme disent ses habitants.


Le début du voyage.

Au lieu de suivre sagement la départementale 80, nous avons préféré prendre un peu de hauteur et tracer une boucle dans l’arrière-pays. L’idée : surprendre le lever du soleil sur la Méditerranée, loin des voitures et des villages déjà tournés vers la mer.

Nous avons quitté la route côtière pour grimper vers Canale, minuscule hameau accroché à flanc de montagne, encore enveloppé de silence. À cette heure, seuls quelques coqs semblaient avoir compris ce qui se préparait. De là, la vue s’ouvre déjà sur le golfe, et les premières lueurs teintent le ciel d’un rose pâle presque irréel.

À San Martino di Lota, nous avons croisé une vieille fontaine en pierre, vestige d’un temps où les muletiers s’y arrêtaient pour se rafraîchir. Le village, aux ruelles étroites, garde l’âme des villages corses traditionnels — entre murs de schiste et volets clos. Ce matin-là, tout semblait figé dans une autre époque.

Un peu plus loin, une bâtisse massive surgit entre les arbres : le Château Cagninacci. Perché sur une hauteur, il fut jadis la résidence d’une grande famille locale, les Cagninacci, figures notables du Cap Corse au XIXe siècle. Aujourd’hui, ses pierres sombres dominent la vallée avec une austérité un peu mélancolique, mais la lumière dorée du matin lui rend un peu de chaleur.

En traversant Figarella, un hameau minuscule où le temps semble suspendu, nous avons eu cette sensation d’être seuls au monde. À cette heure, seuls quelques chats s’aventuraient sur les murets.

Puis, après quelques virages à flanc de maquis, l’église de Mandriale est apparue. Posée là, presque par surprise, isolée, face à la mer. On raconte qu’elle fut construite par les bergers et les marins de la région, comme un repère entre ciel et terre. Le vent jouait avec les herbes folles et les murs blancs prenaient une teinte dorée à mesure que le soleil se levait. C’était un moment suspendu, simple et beau.

La route nous a ensuite doucement ramenés vers la côte, par une descente sinueuse à travers les oliviers et les murets effondrés, jusqu’à la Plage de Lavasina, où les galets cliquetaient doucement sous les vagues. Le soleil, maintenant bien levé, embrasait la mer d’éclats argentés.


Encore quelques kilomètres, et nous arrivions à Erbalunga, ce petit bijou de village marin, comme un trait d’union entre les montagnes que nous venions de traverser et la mer qui nous attendait.


Erbalunga

Une marine de pêcheurs posée sur la mer comme un caillou précieux. Ruelles étroites, maisons délabrées pleines de charme, une tour génoise ruinée plantée au bout du cap, comme un vieux gardien de pierre. On comprend pourquoi les peintres s’y sont attardés.

Même fin octobre, on a pris une glace sur le port. Une vraie. Le calme. La lumière rasante. Des paddles qui glissaient sur l’eau claire du Parc Marin du Cap Corse. Le soir, on nous a parlé des soirées Dolce Folie, du festival Cap sur le rire… mais là, tout était calme. Et c’était parfait.


Sisco et la vue sur l’Elbe

Depuis la plage de Grisgione, nous avons continué notre route vers le nord, toujours à l’écart de la grande départementale, pour mieux sentir battre le cœur du Cap Corse. À la plage de Sisco, un petit sentier s’enfonçait dans les terres. Ici, Sisco n’est pas un village au sens classique du terme, mais une mosaïque de hameaux éparpillés dans un vallon encaissé, comme un collier de perles tombé de la montagne. Aucun ne s’appelle Sisco. Le nom est celui du ruisseau qui serpente en bas, entre les murets de pierre sèche et les oliviers.

Nous avons pris de la hauteur jusqu’à Poggio, l’un des plus beaux hameaux du coin. Son campanile coloré se détachait fièrement sur le ciel bleu, comme un phare au milieu du maquis. Et là, devant nous, l’île d’Elbe. Difficile à croire qu’elle se trouve à cinquante kilomètres à peine… Pourtant, on distinguait nettement la ligne claire des falaises du Capo Bianco, presque irréelles dans la lumière crue du matin. Une vision suspendue entre rêve et réalité, entre Corse et Toscane.

De retour vers la côte, un nouveau ruban d’asphalte bordé de figuiers de barbarie nous a conduits à la plage de Pietracorbara.

Un long croissant de sable gris clair, battu par les vents, beaucoup plus sauvage que les plages du sud de l’île. Quelques camping-cars isolés, une buvette encore fermée, et ce sentiment de bout du monde que l’on cherche sans le dire.

En poursuivant vers le nord, nous avons longé la côte jusqu’à la Tour de l’Osse (Torra di l’Osse), vestige silencieux du temps où les guetteurs scrutaient l’horizon, redoutant les incursions barbaresques. Aujourd’hui, elle semble veiller sur les eaux calmes plus par habitude que par nécessité, figée dans le granit et les souvenirs.

Puis Porticciolo nous a accueillis avec sa petite marina tranquille, ses barques colorées et sa plage de galets ronds, à peine troublée par les rires d’un groupe d’enfants. Une tour génoise encore en bon état trône au bord du quai, comme une sentinelle paisible. Nous nous sommes assis là, à l’ombre d’un figuier, devant un café noir et brûlant, à observer le bal discret des pêcheurs et le scintillement de la mer. C’était l’heure parfaite : celle où le temps ralentit et où le voyage devient un état d’esprit.


Vers Santa Severa

Après cette pause à Porticciolo, nous avons repris la route, plus sinueuse ici, comme si le Cap Corse voulait nous ralentir, nous forcer à regarder. Et il avait raison.

La montagne, désormais plus proche de la mer, semble plonger dans le bleu. Chaque virage offre une nouvelle carte postale. On sent que l’on entre dans le Cap Corse profond, celui des villages accrochés à flanc de rocher, des vieilles chapelles isolées, et des routes bordées de murs moussus.

En surplombant la mer, nous avons traversé quelques hameaux discrets, à peine signalés : Macinaggio n’est pas encore tout proche, mais la lumière commence à changer, plus crue, plus blanche. Les versants sont plus secs, le maquis plus bas, et l’air prend une odeur de sel et de ciste.

Puis Santa Severa apparaît, doucement, nichée au creux de la côte. Pas vraiment un village, mais un petit port, une marine, là où la mer entre presque dans les maisons. À l’époque génoise, c’était l’un des points de débarquement importants du versant oriental du Cap. La tour de Santa Severa, aujourd’hui discrète, fut autrefois l’un des maillons de la chaîne de guet qui protégeait la Corse contre les invasions venues d’outre-mer.

Nous nous sommes arrêtés là, sans rien prévoir. C’est ce genre d’endroit qui vous invite sans prévenir à flâner. Le port n’a rien d’ostentatoire : quelques barques, une digue, une poignée de terrasses. Mais ce matin-là, le silence avait quelque chose de doux, comme un secret bien gardé. Nous avons marché jusqu’à la mer, laissé les galets rouler sous nos pas, regardé les reflets changer sur les coques des bateaux.

Un homme, assis sur un banc, nous a salués sans un mot, d’un simple signe de tête. Comme s’il nous reconnaissait : pas nous personnellement, mais notre manière de voyager. Celle de ceux qui prennent les routes secondaires, qui s’arrêtent sans savoir pourquoi, et qui prennent le temps de regarder la mer.


Macinaggio, le port vivant

En remontant la côte, après les virages serrés de Santa Severa et les ravins tapissés de maquis, Macinaggio nous est apparu comme une respiration. Ici, la montagne recule un peu, laissant place à une grande baie ouverte, et le port de plaisance le plus important du Cap Corse.

Macinaggio, c’est la marine de Rogliano, ancien village de pêcheurs devenu petit port animé, sans perdre son âme. L’ambiance y est douce, entre voiliers amarrés, familles en goguette, et cafés qui prennent le soleil. Il y avait du monde, oui, mais rien de pressé, rien de bruyant. Juste cette sensation d’un lieu qui vit, tranquillement, au rythme des marées et des départs en mer.

Nous avons trouvé une place en terrasse, face aux mâts qui se balançaient doucement. Café serré, regards qui flânent, odeur de crème solaire mêlée à celle du poisson grillé. On aurait pu rester là des heures.

Mais Macinaggio, c’est aussi le point de départ du célèbre Sentier des Douaniers, qui longe la côte jusqu’à Barcaggio, à la pointe nord du Cap. Un sentier taillé dans la roche, ancien passage de surveillance contre la contrebande et les invasions, devenu aujourd’hui l’un des plus beaux itinéraires de randonnée de Corse.

Nous n’avions pas prévu d’en faire toute la traversée — quatre heures de marche sous le soleil, ce sera pour une autre fois — mais nous avons tout de même décidé d’en goûter un morceau, jusqu’à la plage de Tamarone.

Et quelle récompense ! Une crique sauvage, baignée d’une lumière presque surnaturelle, avec ce mélange de sable blanc, d’herbe rase et de mer turquoise. À part quelques randonneurs épars, le lieu semblait désert. On aurait dit une fin du monde douce, un bout de Méditerranée oublié.

Non loin de là, niché dans un repli du sentier, le restaurant U Paradisu nous tendait les bras. Malgré le contexte si particulier de cette année 2020, le lieu était encore ouvert, envers et contre tout, pour son dernier week-end avant la fermeture annuelle. Un coup de chance. On aurait presque cru que la mer elle-même nous l’avait gardé rien que pour nous.

Une terrasse ombragée, une assiette de poissons grillés qui sentait le large, le personnel, souriant , nous accueillait comme si le monde entier n’avait pas basculé. Le nom ne mentait pas : c’était bien un petit paradis, entre ciel et mer, entre marche et repos — et cette étrange parenthèse qu’avait été l’année.


Rogliano – fierté du Cap

Après ce déjeuner suspendu entre ciel et mer, il nous fallait grimper. Laisser la mer derrière, le temps d’un détour par l’intérieur.
Depuis la plage de Tamarone, une petite route sinueuse s’élève doucement vers l’arrière-pays. Elle traverse des champs d’oliviers, des bosquets d’eucalyptus et quelques bergeries aux toits rouillés. À mesure que l’on monte, la mer s’éloigne, mais la vue, elle, s’ouvre. Et puis apparaît Rogliano.

On dit parfois que Rogliano est la fierté du Cap Corse, et ce n’est pas seulement pour sa position en hauteur, presque dominante. C’est un village éclaté en plusieurs hameaux, perchés à flanc de montagne, entre 250 et 500 mètres d’altitude.
Nous avons traversé Quercioli, Campiano, Olivo, Vignale, … (Voir carte)

Autour, des maisons aux pierres blondes, des ruelles pavées, et cette impression qu’ici, le temps avance à pas mesurés. Pas figé, non. Mais respectueux. Rogliano n’est pas un musée à ciel ouvert. Il vit, doucement, fièrement. À sa manière.

C’était une escale imprévue, mais essentielle. Une respiration de pierre et de silence, avant de reprendre la route vers l’extrême nord du Cap.


Barcaggio et Tollare – au bout du Cap

La route monte encore un peu après Rogliano, puis redescend doucement, comme si elle hésitait à aller plus loin. Et puis soudain, Barcaggio. Tout au bout, comme une récompense. Ici, la terre s’efface devant la mer, et le Cap touche presque l’Italie.

Sur la plage, les vaches paissent tranquillement, comme chez elles. Ce n’est pas une image poétique, c’est une vérité corse. Deux ruminants, le museau dans les herbes salées, ignorent souverainement les rares promeneurs et le sable blond. L’eau est turquoise, presque irréelle. Les dunes ondulent doucement sous le vent. Tout semble à sa place, dans un équilibre ancien.

Le village, minuscule, est à l’abri d’une anse. Quelques barques tirées sur la grève, des murs blanchis par le soleil, un petit port de pêche désuet mais vivant. Ici, pas de carte postale léchée, pas de folklore surfait : juste la fin d’une route, la vraie.

Et puis plus loin, par une piste discrète, Tollare. Quelques maisons blotties contre la roche, un petit port carré comme un mouchoir plié, et ce sentiment puissant d’être arrivé au bout du monde. Le vent y souffle plus fort, la lumière devient presque liquide, les lignes s’effacent.

Réglisse m’a regardé, puis a regardé la mer. Elle m’a dit simplement :
“C’est ici que je m’arrêterais.”

Et je l’ai crue. Parce qu’ici, on comprend que certaines fins de route ressemblent à des commencements.


Ersa – Au-delà du bout du monde

Après Tollare, on aurait pu croire que la route s’arrêtait là. Mais le Cap Corse aime prolonger l’illusion. Il propose encore quelques détours, à condition d’aimer les virages serrés, les villages suspendus et les lumières franches.

La route serpente dans la montagne, traverse Ersa, cette commune éclatée dont les hameaux semblent posés au hasard des crêtes. Poggio, Coccapino, Granaggiolo, Gnignu… Autant de noms qui chantent le maquis et la pierre sèche, autant de lieux qui n’ont pas oublié leurs origines pastorales. Ici, les maisons gardent le silence des absents : les émigrés partis vers l’Amérique ou Marseille, les bergers descendus vers la côte, les anciens qui veillent depuis les seuils.

Sur une crête balayée par le vent, le moulin Mattei s’élève, seul et magnifique. Restauré, il trône comme un symbole du Cap sauvage et indompté, là où autrefois cinq moulins tournaient dans le vent du nord. La vue y est panoramique, presque renversante. D’un seul regard, on embrasse à la fois la mer Tyrrhénienne à l’est, et la Méditerranée ouverte à l’ouest. Un lieu parfait pour s’arrêter, respirer, et sentir le Cap entier sous ses pieds.

Puis la route descend doucement vers la côte ouest. Elle frôle la plage de la Mute, discrète, souvent vide, avec ses galets polis et son air de bout du monde oublié. Plus bas, Centuri commence à se dessiner, mais avant d’y parvenir, un détour s’impose vers la tour génoise de Centuri, posée sur un promontoire comme un phare silencieux. Autrefois, elle gardait l’œil ouvert sur les incursions barbaresques. Aujourd’hui, elle regarde simplement passer les nuages.

En contrebas, au creux d’un vallon, se cache le Couvent Santa Maria di Centuri, dont les pierres parlent bas mais clair. Restauré avec soin au fil des années, il a retrouvé une partie de sa dignité d’antan. Fondé au XVIIᵉ siècle par les franciscains, ce couvent fut pendant des siècles un centre religieux et culturel important du Cap. Aujourd’hui encore, ses murs blancs, sobres, s’élèvent entre cyprès et oliviers, comme une présence paisible, témoin du temps qui passe sans tout emporter.

Le soir commençait à tomber lorsque nous avons enfin atteint Centuri, petit port lové dans une anse, célèbre pour ses langoustes et son calme. La lumière dorée caressait les façades, et le silence, là encore, faisait partie du décor. On avait contourné le Cap, franchi sa pointe, traversé ses villages, ses pierres, ses silences… et on y était encore. Le Cap n’est jamais vraiment derrière soi. Il continue. Il respire. Il vous retient.


Centuri – Langoustes et coucher de soleil

Ce n’est qu’au tout dernier moment, au détour de l’ultime virage, que nous est apparu le petit village de Centuri, lové autour de son port charmant et minuscule. Pittoresque et coloré à souhait, Centuri se savoure d’abord des yeux : maisons en escalier, murs patinés, volets pastel, et cette lumière dorée qui fait scintiller la pierre et la mer.

À la pointe du Cap Corse, le village et son port griffonnent un décor maritime qu’on encadrerait volontiers. Minuscule point d’accostage pour les voiliers de passage ou les bateaux des pêcheurs du cru, Centuri dégage un havre de paix et un charme envahissant. Tout semble posé là pour durer.

Nous avons décidé de nous y arrêter. Nous avons dormi au port, dans une petite chambre simple mais accueillante, bercés par le clapotis des amarres et l’odeur salée du large. Le soir, en terrasse, les langoustes étaient de saison, le vin blanc bien frais, et le vent presque absent.
Le soleil s’est couché lentement sur les petites îles au large, la lumière virant à l’orange, puis au cuivre. Les conversations autour de nous s’éteignaient doucement. Un moment parfait, enveloppé de silence et de chaleur.

Mais Centuri ne se résume pas à son port. La commune s’organise autour d’une constellation de hameaux perchés, chacun porteur d’histoire, d’un détail, d’un secret. Ils forment la mémoire éclatée d’un village resté fidèle à lui-même.


Les hameaux de Centuri – entre mer et mémoire

Centuri-Port
Enfin, le port lui-même, premier port français de pêche à la langouste. Quelques familles de pêcheurs y perpétuent encore cette activité. On y entend le matin les moteurs des barques, et le soir le tintement des verres en terrasse, dans une ambiance douce, jamais bruyante, toujours ancrée.

Cannelle
Typique village corse, desservi par sa « via » pavée, il conserve une atmosphère d’authenticité. La chapelle Saint Jacques (San Ghjacumu), les restes de deux tours, une fontaine, un lavoir… ici, tout raconte la vie d’autrefois, quand chaque goutte d’eau avait un nom et chaque pierre une main.

Orche
Sur une ancienne assise médiévale, la chapelle de la Trinité, reconstruite au XVIIIe siècle, renferme un triptyque sur bois du XVIe. Plus haut, dans le hameau disparu de Trelu, subsiste une vieille tour en ruine, appelée parfois Tour Mattei. C’est là que naquit Sanson Napollon en 1580.

Merlacce
Posé sur la RD35, entre Camera et Orche, le hameau abrite la chapelle Saint Michel, et une curieuse ancienne tour transformée en château par la famille Francheschi, marquis de Sédilo. En contrebas, une petite fontaine redécouverte en 2008 ajoute un détail charmant à ce lieu discret.

Bovalo
En contrebas de Camera, accessible uniquement à pied, Bovalo est un hameau oublié des cartes, mais pas des mémoires. On y trouve la chapelle Sainte Anne, et le silence des lieux qu’on ne traverse pas par hasard.

Camera
Premier hameau que l’on croise en venant du nord par le moulin Mattei. Perché juste en dessous de l’église paroissiale Saint Sylvestre, il s’articule autour de ruelles étroites et abrite la chapelle Sainte Marguerite. La vieille confrérie Santa Croce, les tombes anciennes des Cipriani et le clocher donnent à l’ensemble une solennité apaisée.

Ortinola
Ce hameau groupé autour de la chapelle Saint Roch a connu l’attaque des Turcs en 1563, conduite par un renégat de Pino. La résistance de Zaccagnino y est encore racontée comme une épopée. Plus tard, le général Léonetto Cipriani y fit construire un château néo-médiéval, aujourd’hui restauré.

La plage de Mute

En quittant le port de Centuri, la route se cabre légèrement, puis on redescend vers une bande de terre nue, écartelée entre le ciel et la mer. Là, à l’écart de tout, la plage de Mute.
Sable blond, galets polis, eau claire et peu profonde. C’est un endroit qui n’appartient à personne, et c’est sans doute pour ça qu’on s’y sent bien.

Il y a eu autrefois, non loin, des carrières de serpentine, des cultures, des cabanes de pêcheurs. Aujourd’hui, le vent y raconte seul les anciens usages.
Nous y avons fait une halte, simplement, pour marcher pieds nus et regarder les reflets,


La route vers Pino – Entre ciel et mer

Après avoir quitté Centuri et la plage de Mute, la route bascule doucement vers l’ouest, épousant les courbes du relief, suspendue entre mer et montagne. Ici, chaque virage ouvre une nouvelle fenêtre sur la mer Tyrrhénienne, bleue, profonde, sans fin.

On roule lentement. La D80 devient route de crête, plus sauvage, parfois étroite, toujours spectaculaire. On s’arrête souvent, presque à chaque belvédère : là, un surplomb rocheux d’où l’on voit jusqu’à Nonza ; ici, un muret avec un banc oublié face à la mer. Parfois, ce sont juste des élargissements à flanc de falaise, mais ils offrent des vues à couper le souffle.

Le Cap s’élargit, puis s’affaisse. Le paysage devient plus méditatif. Les falaises rouges de serpentine succèdent aux terrasses d’oliviers à l’abandon. On devine, tout en bas, des criques inaccessibles. Les falaises sont striées comme des pages, et la mer vient doucement en tourner les coins.

Et puis, au détour d’un virage, surgit Pino, presque caché. Un village accroché au vide, sur une sorte de promontoire vert, posé entre le ciel et les rochers. C’est un lieu qui ne se livre pas tout de suite. Il faut s’y arrêter, marcher, observer.


Pino – Silence, pierre et vertige

Pino, c’est un village pour ceux qui aiment le silence. Pour ceux qui savent s’asseoir et écouter le vent passer dans les cyprès.

Depuis la route, il n’en dit rien. Mais en s’y arrêtant, le charme opère. Tout y est minéral : les maisons en pierre sombre, les murets en serpentine — cette roche typique du Cap Corse qui donne au paysage ses reflets verts-noirs, presque lunaires.

On a arpenté les ruelles, à l’ombre des façades hautes. Le fournil était fermé. Le clocher s’élevait, blanc, au-dessus des arbres, comme une voile plantée sur la montagne.

Tout autour, des demeures oubliées, parfois effondrées, parfois restaurées avec goût, témoignent d’un passé opulent, quand les familles corses émigrées à Cuba ou à Porto Rico revenaient bâtir ici des villas d’un autre temps.
On parle même de “maisons d’Américains” : des bâtisses silencieuses, avec leurs escaliers doubles, leurs balcons en fer forgé, leurs grilles mangées de ronces.

« Les maisons d’Américains. C’est ainsi que l’on appelle ces villas magnifiques qu’ont fait construire les habitants après avoir fait fortune aux États-Unis au XIXe siècle.« 

Pour mieux comprendre Pino, il faut descendre vers la mer, au hameau du Scalo, en contrebas du village. C’est là, au plus près des vagues, que s’élèvent le Couvent Saint-François (Cunventu San Francè), imposant mais en ruine, et juste à côté, la tour génoise de Scalo, fièrement campée face à l’horizon.
Tous deux sont des témoins muets de siècles passés, l’un spirituel, l’autre défensif, posés ensemble comme une frontière entre la terre et l’eau.

À deux pas, la buvette U Paradu offre une halte inattendue : une simple terrasse, quelques tables, un auvent, et une vue inoubliable sur la mer Tyrrhénienne. On s’y est arrêtés. Un citron pressé, le silence du large, le souffle du Cap.
Le nom ne mentait pas : c’était bien un petit paradis.

Mais Pino ne regarde pas seulement la mer. En prenant la D180, qui grimpe vers l’intérieur, on traverse un maquis plus dense, plus haut. Là, on découvre la chapelle Santa Lucia, toute de pierre et de solitude.
Puis, plus haut encore, au sommet d’un promontoire rocheux : la tour de Sénèque.

On dit que le philosophe romain Sénèque, exilé en Corse, y aurait séjourné. Peut-être est-ce une légende… Mais ce qui est certain, c’est que le panorama qu’elle offre pousse à la méditation. On y voit tout : le golfe de Saint-Florent, les deux versants du Cap, la mer infinie, les montagnes corses.



C’est un lieu qui ne se traverse pas. On y reste, on y respire, on y pense. Et sans trop savoir pourquoi, on repart un peu plus léger.


Minerviu – Balcon sur la mer et vestiges d’un passé ancien

En suivant la D80, la route panoramique qui longe la côte ouest du Cap Corse, on découvre le hameau de Minerviu, aussi appelé Minerbio dans certains écrits anciens. Posé à flanc de montagne, à près de 200 mètres d’altitude, il offre un panorama exceptionnel sur la Méditerranée, avec une impression d’être suspendu entre ciel et mer.

Le nom du village viendrait de la déesse Minerve, vénérée ici dès l’Antiquité, ce qui laisse supposer une occupation très ancienne des lieux. Les ruelles pavées, les terrasses envahies de figuiers de Barbarie, les maisons aux pierres sombres lui donnent une allure discrète et mélancolique.

Au XIIᵉ siècle, les seigneurs Peverelli y construisent un château : le Castrum Minerbii, dont il ne subsiste aujourd’hui que quelques ruines, enfouies dans la végétation à 416 mètres d’altitude. Elles surplombent toute la vallée, gardiennes silencieuses d’un passé médiéval oublié.

Ce qui frappe à Minerviu, ce sont aussi les tombeaux monumentaux, notamment celui de la famille Altieri, dressé face à la mer, en bord de route. Ces mausolées familiaux, typiques du Cap Corse, témoignent de l’importance des lignées locales et du culte des ancêtres.

L’église Santa Catarina, bâtie au XIXᵉ siècle, occupe l’emplacement probable d’un ancien sanctuaire romain. Simple mais majestueuse, elle est souvent fermée, mais son parvis sert de belvédère naturel à ceux qui prennent le temps de s’arrêter.

En contrebas du village, cachée dans la végétation, la crique de Salàghja fut jadis une cale discrète pour les pêcheurs ou les contrebandiers. Le sentier est raide, escarpé, mais si on le suit jusqu’au bout, on arrive à un recoin sauvage, battu par les vagues et le vent, où l’on se sent vraiment au bout du monde.

Minerviu n’est pas un “spot touristique”. C’est un village à ressentir, à écouter. Et si l’on s’y attarde, il sait parler doucement à ceux qui prennent le temps.


Conchigliu, Giottani et les chemins secrets du maquis

Pas très loin de Minerviu, le village de Conchigliu se cache dans les replis du maquis. On y arrive sans trop savoir si c’est un vrai village ou juste un hameau oublié. Ici, pas d’artifice, rien qui crie “tourisme”. Juste la pierre, le silence, les herbes folles. On se croirait presque dans un monde parallèle, un peu hors du temps.

En contrebas, on a rejoint la plage de Giottani, un petit croissant de galets bordé par les collines, où les chèvres en liberté se promènent sans se soucier des visiteurs. L’eau est claire, les rochers tombent à pic, l’odeur du maquis flotte jusque sur la mer. Peu de monde. Une plage à l’état brut.

Mais le vrai trésor, c’est le petit pont génois perdu en plein maquis. Encore faut-il le trouver.

Déjà, trouver où garer relève de la chasse au spot : pas de panneau, pas de parking. Puis, il faut attaquer une montée raide et escamotée, une sorte de sentier semi-secret que seuls les motivés empruntent.

Chaussures solides obligatoires ! On grimpe, on glisse un peu, on passe entre les chênes et les arbousiers. Et puis, après 20 minutes environ, on bascule dans un autre monde.

Un tout petit pont génois, arrondi et moussu, enjambe un filet d’eau limpide. L’endroit est tellement paisible, tellement beau dans sa discrétion, qu’on se dit qu’on a trouvé le paradis des elfes.
Si vous êtes du genre aventureux, continuez. Le sentier se faufile dans la montagne, et au bout, il y a des coins sauvages, superbes, dignes des plus beaux décors d’un roman d’évasion.

On n’a croisé personne. Juste le bruit du vent, quelques chèvres, le ruissellement de l’eau. Un secret du Cap, à ne surtout pas ébruiter trop vite.


Canari – L’amiante, les ruines et les promesses du silence

La commune de Canari est connue pour son usine d’amiante abandonnée, cet énorme complexe industriel accroché à flanc de falaise, aujourd’hui déserté et rongé par le vent. On l’a surnommé « l’enfer blanc », et il y a de quoi.
Le site, fermé en 1965, s’étend sur plus de 30 hectares, et porte encore en lui la mémoire douloureuse de ceux qui y ont travaillé — et parfois laissé leur vie.

Mais Canari ne se résume pas à cette cicatrice industrielle. Trois cents mètres plus haut, le village de Canari, lui, veille. Un belvédère paisible d’où l’on voit, par temps clair, l’horizon courir jusqu’à Nonza, l’océan jusqu’à l’âme.

Ce qui rend la commune encore plus fascinante, ce sont ses hameaux oubliés — des morceaux de vie suspendus dans le maquis. Sur les 17 hameaux que compte Canari, 4 sont en ruine : Imiza, Marsogna, Salge et Linaghje.


Imiza – Le plus beau des hameaux perdus

Depuis la place principale de Canari, on emprunte un sentier qui file jusqu’au hameau de Solaru, terminus de la route. De là, 6 minutes à pied suffisent pour atteindre Imiza.
C’est le plus haut, le plus spectaculaire et, quelque part, le plus vivant : deux maisons ont été restaurées par des amoureux de la région. Comme un signe de renaissance.

Posé sur un promontoire baigné de lumière, Imiza déploie ses vieilles pierres autour d’une ancienne aire de battage, avec en son cœur la chapelle Santa Catalina, restaurée en 1975.
La vue y est à couper le souffle — on y sent battre le cœur profond de la Corse.

Ce lieu est si beau qu’il a inspiré le nom d’un parfum corse : Imiza, une essence à l’odeur de ciste, d’immortelle et de vent du maquis…


Marsogna – Ruines muettes au-dessus d’Olmi

Marsogna est à peine à une centaine de mètres au-dessus de la route, juste au-dessus du hameau d’Olmi.
Mais tout ici est silencieux, effondré, retourné à la terre. Le hameau est complètement ruiné. Seules les pierres entassées racontent encore, sans un mot, le quotidien oublié de quelques familles.


Salge – L’éloignée

Pour rejoindre Salge, il faut continuer la route depuis Canari pendant 700 mètres, jusqu’à Longa, puis marcher une dizaine de minutes. Le hameau est le plus éloigné, mais le chemin qui y mène est facile et plonge dans un maquis odorant.

Là encore, le silence. Pas un bruit, sauf celui du vent dans les herbes hautes. Ici, on sent le poids du vide, mais aussi la beauté d’un monde disparu sans fracas.


Linaghje – La mémoire des pierres battues

Enfin, Linaghje, le plus chargé d’histoire. Pour y arriver, il faut quitter Canari et suivre la D33 en direction de Barretali sur environ 2,5 km. Le hameau se cache quelque part entre les virages et les collines.

Linaghje possédait autrefois une tour carrée, construite vers le XIVᵉ siècle, une de ces tours de défense que l’on retrouve partout en Corse. Mais en 1554, lors de la conquête génoise menée par l’amiral Andrea Doria, la tour est détruite, le hameau incendié, et les habitants contraints à fuir vers Canari ou Barretali.

Aujourd’hui, il ne reste que quelques pierres, beaucoup de silence, et cette sensation tenace que l’on marche sur les traces d’un passé oublié de tous — sauf des lieux eux-mêmes.


Une pause à l’ancienne usine d’amiante de Canari

Après avoir longé les hauteurs vertigineuses de Canari et ses hameaux oubliés, on a marqué une halte. Pas au sommet d’un col. Pas sur une plage. Mais dans un lieu que beaucoup préfèrent ignorer :
l’ancienne usine d’amiante, suspendue à la falaise, à quelques encablures en contrebas du village.

L’exploitation a fermé en 1965, mais le site est encore là, immense, abandonné, planté sur 32 hectares comme un vestige d’un autre temps. Ce jour-là, on a voulu voir de plus près. L’accès n’est pas facile — il faut se faufiler entre les buissons, les clôtures rouillées, les murets effondrés.

À l’intérieur, le silence est lourd. Les murs sont éventrés, les escaliers ne mènent nulle part, des poutres métalliques pendent comme des squelettes rouillés.
On a marché doucement, à pas feutrés, dans cette carcasse industrielle figée par le vent.

C’est ici qu’on extrayait l’amiante chrysotile, expédiée par mer après broyage. C’est ici aussi que les poussières invisibles ont noirci la plage de Nonza, qu’elles ont soufflé dans les poumons de tant d’ouvriers corses.

Une mémoire toxique, enfouie sous les gravats.

On n’est pas restés longtemps. Juste le temps d’observer l’étrange tension entre la beauté brute du paysage — mer turquoise, montagnes nues — et la violence invisible du passé.
Réglisse m’a lancé : « Tu crois que la nature a pardonné ? »
Je n’ai pas su répondre.


Albo – Roches sombres et mémoire minérale

Après les paysages envoûtants de Centuri, notre route a croisé un autre lieu étrange et magnétique : Albo.

Ce hameau côtier appartient à la commune d’Ogliastro. Il est dominé, comme tant d’autres ici, par une tour génoise, plantée sur un promontoire rocheux pour surveiller les horizons jadis menacés. Mais ce qui retient vraiment l’attention à Albo, c’est sa plage noire, large, graveleuse, presque lunaire.

Une plage comme on n’en voit nulle part ailleurs, composée de galets et de sable d’un gris anthracite profond, presque noir par endroits.

Cette teinte étrange ne doit rien au hasard.

Les roches sombres d’Albo proviennent des dépôts d’amphibolites et de serpentinites — roches métamorphiques issues d’anciens fonds océaniques — qui affleurent naturellement dans cette partie du Cap Corse. Mais surtout, les galets noirs sont aussi le fruit de l’héritage industriel de la région : résidus de l’extraction et du traitement de l’amiante, autrefois réalisée plus au nord, dans les mines de Canari.

Pendant des décennies, ces résidus ont été transportés par un convoyeur jusqu’à la mer, puis rejetés en partie au large ou stockés sur les plages voisines, notamment à Albo et à Nonza.
Même si l’usine a fermé en 1965, ses traces sont toujours visibles, intégrées à la topographie et aux plages de la côte ouest.

Aujourd’hui, la baignade est autorisée à Albo, et la plage attire curieux et amoureux des lieux insolites.
Mais il reste ici quelque chose de tellurique, de dense. On ne s’y prélasse pas comme à Palombaggia. On contemple. On marche. On sent le poids de la roche, du passé, du vent.


Nonza – Théâtre minéral et mémoires noires

Sur la route qui redescend le Cap, Nonza surgit comme un décor figé dans le temps.
Un village-forteresse, perché sur une falaise vertigineuse, planté là comme un bastion défiant la mer. Ses ruelles pavées, ses maisons sombres, sa silhouette austère sous la lumière changeante de fin d’après-midi… Tout ici semble murmurer une histoire ancienne.

On a grimpé jusqu’à la tour Paoline, érigée au XVIIIe siècle. Là-haut, le vent souffle fort, mais le panorama est inoubliable. En contrebas, s’étale l’Arinella di Nonza, une immense plage de galets noirs, vestige silencieux de l’exploitation d’amiante toute proche, à Canari.
Le contraste entre le noir mat des galets et le bleu cobalt de la Méditerranée donne à ce lieu une beauté brute, presque irréelle.

Depuis les différents points de vue aménagés, on devine des formes blanches sur le rivage : des messages tracés en galets clairs, déposés un à un par des visiteurs inspirés — prénoms, cœurs, dates, mots d’amour ou d’espoir.
On a fini par s’installer à une table de la terrasse panoramique du restaurant La Sassa, suspendue entre ciel et mer. Le regard plongeait vers la plage, les falaises, les ruines visibles de l’ancienne usine — ce qu’on appelle ici les Ruvine di l’Arinella di Nonza.

« Tu vois, m’a soufflé Réglisse, la vie reprend toujours. Même ici. »

Et c’est vrai. Il y avait là, dans ce paysage chargé de contrastes, quelque chose de fort, de poignant, de réparé. Nonza n’était pas seulement une halte : c’était un point final vibrant, entre mémoire, beauté et résilience.


De Nonza au Couvent Saint-François – Retraite face à la mer

En quittant Nonza, avec sa tour posée sur l’à-pic et ses maisons serrées les unes contre les autres, on a eu envie de s’éloigner un peu. De prendre le sentier qui descend, à l’écart de la route, vers un lieu plus calme, plus oublié.

Ce lieu, c’est l’ancien Couvent Saint-François, fondé en 1238, un des plus anciens couvents franciscains de Corse. Pendant des siècles, il a abrité des religieux, des silences, des prières, et des vies simples tournées vers l’horizon. Puis le temps a fait son œuvre, et le couvent est devenu une ruine — digne, habitée par les vents et les souvenirs.

La balade est douce, à flanc de pente, entre genévriers, murets en pierre sèche et petits cairns laissés par les randonneurs. En une vingtaine de minutes, on rejoint la bâtisse aux murs usés, posée là, presque en équilibre sur un balcon naturel.

Mais ce qu’on y trouve aujourd’hui : une atmosphère, un silence chargé, une vue à couper le souffle sur toute la côte ouest du Cap Corse.

Il n’y a ni panneau, ni boutique, ni bar. Juste le vent, la mer, les ruines, et le temps qui s’est arrêté un moment. On s’est assis sur un mur, face à l’horizon. Pas besoin de parler. C’était simple et beau.


Olmeta-di-Capocorso – Une vallée habitée

Après avoir quitté le promontoire de Nonza et la quiétude du Couvent Saint-François, la route descend, comme un ruban tendu entre la mer et les à-pics.

Nous sommes entrés dans la vallée d’Olmeta, l’une des plus encaissées du Cap Corse, bordée de châtaigniers, de murs en pierre sèche et de restanques oubliées. Tout ici semble plus humide, plus vert, plus frais. On entend le clapotis de la rivière d’Olmeta, qui serpente depuis les montagnes avant de se jeter dans la mer en contrebas.

Le village, Olmeta-di-Capocorso, ne se livre pas tout de suite. Il faut prendre le temps de se garer, de s’aventurer à pied dans ses venelles. Les maisons en schiste noir s’agrippent à la pente. Les volets clos, les murs lézardés, les toits couverts de lauzes racontent un autre Cap, plus intérieur.

Mais avant de continuer vers Farinole, nous avons pris un petit détour, poussé par la curiosité, vers Negru, sur la côte.

Un peu plus loin, dans un repli discret de la vallée, le vieux moulin de Negru attend, presque oublié, au bord de la rivière. Sa silhouette de pierre se fond dans le vert profond du maquis, comme s’il avait toujours été là, à regarder l’eau passer.

Ses murs portent les marques du temps, usés par les crues, les hivers longs et les siècles silencieux. Pourtant, il tient encore debout, fier et paisible. Sous ses arches, l’eau claire file sur les galets, et tout autour, le silence est absolu, juste brisé par le murmure de la rivière et le bruissement des feuilles.

En aval du vieux moulin, le pont génois de Negru, à la courbe parfaite, enjambe la rivière comme un trait d’union entre les époques. Il est encore emprunté aujourd’hui, fidèle, témoin d’un autre temps.

Un peu plus loin, la plage de galets noirs , non loin des ruines de la tour génoise, elle s’étale au pied du maquis, sauvage, battue par les vagues, presque toujours vide. Une plage comme seules les côtes corses savent en offrir : brute, libre, indomptée.

Sacha, notre chatte, s’était lovée à l’arrière de la voiture, le museau au soleil, les yeux mi-clos. Nous, on s’est contentés de regarder l’horizon. Le Cap continuait de dérouler sa magie, entre rivière, pierre et mer.


Bracolaccia et la Marine de Farinole – Sable, vagues et lumière rasante

La route s’est remise à serpenter, entre vigne, schiste et figuiers, épousant les reliefs de cette partie plus méridionale du Cap. À mesure qu’on descendait, la mer s’adoucissait, plus accueillante, plus large. On longeait encore des murs de pierre sèche, parfois un âne, souvent personne.

Et puis, Farinole, ou plutôt Bracolaccia, le hameau haut. Perché à 300 mètres d’altitude, il offre une vue splendide sur tout le golfe de Saint-Florent. Ici encore, des maisons de schiste, un clocher blanc, et la sensation que le Cap touche à sa fin, et que le Nebbiu commence à poindre.

Mais c’est en bas, à la Marine de Farinole, que nous avons marqué une pause. Une des rares vraies plages de sable du Capet quelle plage ! Un ruban doré, bordé de tamaris et de rochers. Les vagues y roulent avec lenteur, puissantes et régulières.

Sacha a couru comme un folle Réglisse s’est assise au bord, les pieds dans l’écume.
Nous n’étions pas seuls, mais le lieu restait paisible, presque protégé.

En arrière-plan, quelques maisons basses, un petit bar en saison, des filets séchant au soleil. La marine de Farinole, c’est le genre d’endroit qu’on ne signale pas trop, pour qu’il reste comme ça.

On est restés un moment. Un de ces instants flottants, entre le sable, le sel et la lumière rasante de fin d’après-midi.


Épilogue

Ce 30 octobre 2020, on a roulé, marché, contemplé, goûté, aimé.
On a traversé le Cap Corse comme on traverse un rêve sauvage.
On n’a pas cherché l’aventure : elle nous attendait au coin de chaque virage.

Et même si le monde tournait à l’envers, là-bas,
nous, on était bien.