
Montefibre – Le géant endormi
Après la brutalité silencieuse de l’hôpital psychiatrique, nous avions besoin d’un souffle. Une respiration. Ce fut l’usine Montefibre qui nous l’offrit.

Fondée en 1972 par la société Montedison S.p.A., ce vaste complexe industriel fut autrefois le cœur battant de la périphérie de Vercelli. Ici, on produisait du diacétate de cellulose et de la viscose, matières premières essentielles à l’industrie textile. Pendant plus d’une décennie, la Montefibre offrit des emplois, du bruit, des fumées, et sans doute quelques maladies. Puis, dans les années 1980, les machines s’arrêtèrent. Le silence s’installa.
Mais le lieu ne resta pas totalement figé. Comme souvent dans les friches industrielles, des rave parties s’y organisèrent. Et chaque année, dans l’un des hangars, on construisait les immenses chars du Carnaval de Vercelli. Il restait donc une part de vie dans ce squelette de béton.
Quand nous sommes arrivés avec Audrey, la lumière déclinait. L’ensemble se dressait là, colossal, éventré, comme un titan abandonné aux marges de la ville. Des bâtiments massifs, des tuyaux rouillés, des entrepôts lézardés. Le vent s’engouffrait entre les structures, et nos pas résonnaient sur les gravats.


La végétation avait repris ses droits : des lianes grimpaient le long des murs, des herbes hautes jaillissaient des fissures. À l’intérieur, les machines dormaient sous la poussière. Dans un hangar ouvert, un ancien tableau de contrôle trônait encore, figé dans le temps, recouvert de cadrans aux aiguilles bloquées. J’imaginais les ouvriers d’alors : blouses tachées, clopes aux lèvres, surveillant les lignes de production au son régulier des moteurs.
Audrey grimpa une volée d’escaliers en métal, découvrant une passerelle suspendue. De là-haut, la vue sur le site était vertigineuse. Une cathédrale de rouille et de béton. Un temple profane de l’âge industriel. C’était grandiose… et triste à la fois.


Au moment de repartir, nous avons croisé un visage peint à même un mur : yeux bandés, traits effacés. Comme si l’usine, elle aussi, refusait de voir sa propre déchéance.

