Sanatorium Antonio Conti
Aux portes de Sassari, sur le plateau de Serra Secca, un sanatorium fut autrefois érigé pour accueillir les malades de la tuberculose. Construit grâce à un legs philanthropique de Pietro Esperson en 1917, il ouvre ses portes en 1930. Pendant des décennies, ce complexe ultra-moderne pour l’époque soignera hommes, femmes et enfants, jusqu’à accueillir près de 400 patients. Aujourd’hui, seul un pavillon central reste en activité, reconverti en centre médical moderne. Le reste ? C’est une autre histoire. Une histoire de silence, de rouille et d’abandon.
Franchir la frontière
Le lieu n’est pas censé se visiter. Entouré de hauts murs, protégé par des grilles tordues et des barrières en plastique orange, il donne tout de suite le ton : ici, on entre par effraction. Nous avons contourné les bâtiments encore en service, glissé un œil dans les fenêtres propres du poliambulatorio, puis franchi la grille branlante à l’arrière du site. Quelques pas dans les broussailles, un talus, une ronce au mollet, et nous voilà dans l’autre monde : celui des pavillons oubliés.
Un monde suspendu
Ils sont encore huit ou neuf, bâtis dans le style typique des années 1930 : allées couvertes, toits plats, enduits rugueux. Certains sont effondrés. D’autres tiennent encore debout, criblés de fissures, les vitres soufflées, les encadrements rongés de moisissures. Dans le silence, seules quelques palombes s’envolent à notre approche. Les pavillons se dressent comme des carcasses blêmes, figées entre deux époques.
Au sol, des carreaux de céramique s’éparpillent. Les rails d’un ancien couloir vitré en anneau serpentent encore à travers la végétation. On devine que cette galerie, aujourd’hui éventrée, reliait tous les bâtiments comme un système respiratoire. Ironique, pour un sanatorium.
Les couloirs du passé
On entre. À l’intérieur, c’est un autre vertige. Une autre époque, mais toujours la même lumière froide. Lits tordus, boîtiers d’appel d’urgence accrochés aux murs, chaises renversées, classeurs éventrés. On croirait que les médecins sont partis en courant, oubliant leurs blouses sur les portes. Les murs sont pâles, parfois bleutés. Dans une ancienne salle d’examen, quelques flacons vides traînent encore. Un monde hospitalier figé, comme suspendu dans l’attente d’un patient qui ne reviendra jamais.
Marcher ici, c’est marcher dans un rêve inquiet. Chaque pièce a son murmure. Un tiroir ouvert, une seringue plastique au sol, un masque à oxygène dans un coin.
Une atmosphère de film
Le silence n’est jamais total. Il est ponctué de battements d’ailes, de gouttes d’eau, d’un grincement venu de nulle part. Si vous vous hasardez pieds nus — ce que je déconseille — l’humidité vous saisira comme un gant glacé. On avance dans des couloirs au plafond effondré, la lumière filtre entre les feuilles mortes. On pense à Tarkovski. Ou à un hôpital de guerre. Ou à rien du tout. Car ce lieu impose sa propre narration.
Entre mémoire et abandon
Le sanatorio Antonio Conti, du nom du médecin qui le dirigea pendant de longues années, fut un fleuron de la lutte anti-tuberculeuse en Sardaigne. On y séparait les hommes, les femmes, les enfants. On y créait des espaces aérés, baignés de lumière, où le souffle des patients pouvait s’alléger. Dans les années 1950, une rénovation modernise l’ensemble. Puis la maladie recule. Les bâtiments ferment. Et la nature reprend possession des lieux.
Aujourd’hui, aucun projet clair ne semble envisagé pour les pavillons en ruine. Tandis que le centre de santé continue de fonctionner à l’avant du site, les arrière-corps s’effondrent, lentement. Le sanatorium est devenu un lieu fantôme, un « polmone verde » — un poumon vert — littéralement, oublié entre ruine et renaissance possible.
ℹ️ À savoir :
- 📍 Lieu : Serra Secca, Sassari, Sardaigne
- 🚷 Accès : officiellement interdit
- 📸 Intérêt : exploration urbaine, photographie, mémoire architecturale
- 📝 Conseil : soyez discrets, respectueux, et ne touchez à rien. L’esprit des lieux y veille encore.

