Trois jours de vadrouille entre France et montagnes
Décidé à la dernière minute, ce petit voyage d’urbex entre France et Italie prend des allures d’aventure.Le mois d’avril est idéal pour ce genre d’escapade : il ne fait ni chaud ni froid, les journées s’allongent, et la lumière, douce et dorée, sublime chaque paysage. Trois jours de route, de découvertes et de liberté.
Jour 1 — Châteaux, grottes et hôtel oublié
En fin de matinée, la silhouette du château de la Tour d’Aling se dessine à l’horizon.
Solitaire au milieu de la campagne, ce vestige médiéval domine les champs comme un gardien immobile.

Ses murs rongés par le temps conservent l’écho des siècles passés : les veilles guerrières, les cris des sentinelles, les feux qui brillaient autrefois au sommet.


Nous en faisons le tour, longeant les herbes folles et les pierres effondrées.
La porte est entrouverte… Une partie du toit s’est effondrée, laissant pénétrer un rayon de lumière qui découpe la poussière en suspens.
La salle principale, aujourd’hui taguée et dévastée, garde encore quelque chose de sa noblesse passée.
Au fond, quelques éléments du domaine subsistent : une cheminée, un escalier en , des poutres noircies.
Nous avançons avec précaution, le sol craque sous nos pas.
Un long couloir mène vers une aile plus sombre, où un escalier s’élève sur plusieurs niveaux, comme s’il refusait de s’avouer vaincu par les ans.












L’endroit dégage une atmosphère étrange, à la fois fascinante et inquiétante. On sent que le lieu a vécu mille vies, et qu’il vaut mieux ne pas trop s’y attarder…







Nous ressortons à la lumière du jour, un peu grisés par cette incursion dans le passé.
Nous reprenons ensuite la route pour une halte à Lamanon, au pied des grottes de Calès.







Ce site troglodytique, creusé dans la falaise calcaire, abritait jadis un village tout entier. Une soixantaine de cavités y ont été taillées à même la roche : habitations, silos, citernes et escaliers témoignent de la vie quotidienne de ces hommes qui avaient choisi la pierre pour refuge.




Du haut de la falaise, la vue sur la plaine de la Crau et les Alpilles est à couper le souffle. On s’imagine volontiers revenir ici au lever du soleil, quand la lumière accroche la roche blonde et que le vent siffle entre les anfractuosités.
En fin de journée, cap sur Velleron, dans le Vaucluse, où nous attend un tout autre décor :
l’hôtel-discothèque abandonné “Le Zoom”. Autrefois lieu de fêtes et de nuits endiablées.










C’est à la fois fascinant et mélancolique — un décor parfait pour clore cette première journée d’exploration.
Nous arrivons en fin de journée à L’Isle-sur-la-Sorgue.
La lumière décline doucement sur les façades pastel, et le murmure des canaux enveloppe la ville d’une atmosphère paisible.

Au détour d’une ruelle, une roue à aubes moussue tourne encore lentement dans le courant, vestige silencieux de l’époque où l’industrie textile assurait la prospérité de la cité.
Son clapotis régulier se mêle au chant des martinets, et déjà l’on devine le charme singulier de cette ville d’eau.

Sur les berges, quelques barques à fond plat traditionnelles, appelées Nègo Chin, rappellent le passé de pêche et de transport fluvial qui fit vivre la Sorgue.
Le soir, nous flânons sans but, happés par la douceur provençale et le reflet doré des lampadaires sur l’eau.

Jour 2 — Des puces à Briançon, entre rires et ruelles
Le lendemain matin, place aux puces et aux antiquaires.
L’Isle-sur-la-Sorgue mérite bien son surnom de capitale des chineurs : des visiteurs du monde entier viennent fouiner parmi les étals à la recherche de la pièce rare ou du bibelot inattendu.

Des meubles anciens aux affiches rétro, des livres oubliés aux objets d’art populaire, tout semble avoir une histoire à raconter.
Les ruelles bruissent d’accents variés, d’éclats de rire et de négociations enjouées.

C’est un véritable voyage dans le temps, un marché où chaque objet transporte un fragment de mémoire.
En fin de matinée, nous reprenons la route, direction Briançon, la cité fortifiée des Hautes-Alpes, où nous attend une nouvelle escale… plus montagnarde cette fois.
Les paysages changent à mesure que l’on s’élève : la Provence s’efface, les montagnes se dressent, majestueuses. À notre arrivée, l’air est vif, presque cristallin, et les remparts de Vauban se découpent sur le ciel.
Nous retrouvons Patrick, dit le conteur Azerro, un humoriste local au verbe généreux. Avec lui, chaque rue devient un théâtre, chaque pierre une histoire. Il nous entraîne dans les ruelles de la vieille ville, entre fontaines, arcades et passages voûtés.
Les maisons colorées, aux volets usés par les hivers, donnent à Briançon un charme unique, mi-alpin, mi-italien.
De place en belvédère, Patrick improvise : il raconte la construction des forts, les vieilles querelles de garnisons, les anecdotes des contrebandiers et des gendarmes d’un autre temps — tout ça sur un ton plein d’esprit et de malice.
Nous flânons sans but précis, admirant les fresques, les toits d’ardoise et les panoramas sur la vallée de la Durance.
Une journée légère, rythmée par les rires et la découverte, qui s’achève autour d’un verre en terrasse alors que les montagnes s’embrasent dans la lumière du soir.
Jour 3 — Randonnée vers les forts et les sommets
Le lendemain, c’est sac sur le dos et chaussures de marche aux pieds. Patrick nous accompagne pour une belle randonnée autour de Briançon.
Nous commençons par le lac Pont Baldy, un petit miroir d’eau niché au milieu des sapins, où le ciel et les montagnes se reflètent dans un calme absolu. Le sentier grimpe ensuite doucement vers le fort de la Croix de Bretagne.
Construit au XIXᵉ siècle pour défendre la vallée de la Durance, ce fort de pierre massive veille encore sur la frontière. On y accède par un joli chemin en sous-bois, bien plus agréable que la route, où l’on respire à plein poumon l’odeur des pins et de la terre humide.
À l’approche du sommet, les arbres s’ouvrent et laissent place à une vue saisissante : la chaîne des Écrins, les forts de Briançon, et au loin, les massifs italiens.
Nous poursuivons jusqu’au fort de la Grande Maye, dont les ruines dominent la vallée des Ayes. Il est possible d’en faire librement le tour, de se glisser dans les anciennes casemates, d’imaginer la vie des soldats dans ce décor d’altitude.
Le panorama est à couper le souffle : montagnes à perte de vue, silence immense, lumière pure. Patrick, fidèle à lui-même, ponctue la montée de blagues et de récits improbables — impossible de ne pas sourire.
Cette journée, entre nature, histoire et bonne humeur, clôt à merveille notre petite escapade.
Trois jours seulement, mais une impression d’évasion totale.
Le genre de parenthèse qui laisse des traces — et une furieuse envie de repartir.
Jour 4 — Le retour
Quatrième jour. Le ciel est clair, et la lumière d’avril adoucit déjà les contours des montagnes. Après un dernier café en terrasse avec Patrick — fidèle à lui-même, il nous gratifie d’une dernière histoire aussi drôle qu’improbable — nous reprenons la route du retour.
Les sommets s’éloignent lentement dans le rétroviseur.
Les collines reprennent leurs droits, les villages défilent, et déjà la campagne provençale nous ramène vers la plaine. Trois jours seulement, mais une impression de voyage bien plus longue.
Il reste les images — la tour d’Aling, les grottes silencieuses de Calès, les murs tagués du Zoom, le lac tranquille et les forts de pierre. Et surtout, ce sentiment rare de liberté totale, quand on part sans plan précis, juste pour voir ce que la route veut bien offrir.








