Urbex Sardaigne

Barrage Hydraulique abandonné

Diga Su Bunnari – Le silence englouti

Nous ne l’avions pas vraiment prévu. Sur une route secondaire, à la sortie de Sassari, un chemin ombragé s’échappe vers les collines. La carte mentionne “Su Bunnari” — un ancien barrage, paraît-il. On s’y aventure, attirés par l’inconnu.

Le sentier s’enfonce dans la verdure. Peu à peu, le bitume cède la place à la poussière, les sons de la ville disparaissent. Devant nous, un lac endormi émerge, serti d’arbres aux branches basses. Le barrage est toujours là, massif et silencieux, mais les installations autour portent les marques du temps : grilles tordues, bâtiments vides, tags effacés par le soleil.

Construit entre 1874 et 1879, et testé en 1880, il permettait de capter l’eau du ruisseau Bunnari. Ce petit barrage avait pour mission d’alimenter Sassari en eau potable. Pendant plusieurs décennies, il a rempli son rôle discrètement, en captant les eaux d’un ruisseau de montagne.

Au sommet du barrage, l’inscription « 1878 » trône fièrement, gravée comme un rappel solennel à la postérité — témoignage muet de l’ingéniosité et de l’audace des ingénieurs de l’époque.


Cependant, le barrage n’est pas le seul ouvrage remarquable du site.
À sa base, on distingue encore les deux anciennes stations de régulation du débit : l’une d’elles est toujours accessible et conserve, en partie, ses anciens mécanismes hydrauliques, figés dans le temps. En gravissant un long escalier usé par les années, qui mène au sommet de l’ouvrage, puis en poursuivant vers Bunnari Alta, le second barrage situé plus en hauteur, on atteint les vestiges d’un ancien tunnel.

Ce passage faisait autrefois partie du sentier longeant le lac et reliant les deux barrages, témoin d’une infrastructure pensée pour durer.

Tout aussi fascinante est la salle des filtres, aujourd’hui fermée au public. Elle abrite une impressionnante structure intérieure faite de citernes voûtées, délimitées par de grandes arches de pierre. Le lieu, bien que désormais inaccessible, continue de nourrir l’imaginaire.

Mais l’ouvrage le plus ambitieux, et sans doute le plus surprenant, reste le grand tunnel souterrain : un conduit de plus de cinq kilomètres, creusé dans la roche, qui reliait directement le barrage à l’ancien aqueduc Art nouveau de Viale Adua, à Sassari. Aujourd’hui, son entrée est dissimulée sous la végétation, et les effondrements successifs l’ont rendu infranchissable. Il n’en reste qu’un mystère souterrain, englouti par le temps, vestige d’un réseau oublié.


Mais à partir des années 1980-90, face au développement de réseaux plus performants, le site a été peu à peu désaffecté. Les installations techniques ont été abandonnées, les bâtiments vidés, et l’entretien a cessé.

Un lieu oublié, à moitié avalé par la nature. On croirait presque que le béton se laisse doucement digérer par la terre, que les hommes ont cédé la place. Et pourtant, il y a des traces : un vieux banc bancal sous un chêne-liège, des restes de feu de camp, un chien errant qui traverse les hautes herbes. Preuves que certains continuent de venir ici. Pour fuir ? Se poser ? Se souvenir ?

Dans ce lieu à la fois abandonné et habité, il y a quelque chose de mélancolique… et de beau. Un entre-deux. Comme si le passé n’avait pas totalement lâché prise, mais qu’il avait appris à cohabiter avec le silence.