
The La Serra Complex
Une atmosphère de fin du monde.
Quand on arrive a proximité, le bâtiment intrigue, posé dans un environnement banal, presque administratif, il ressemble à un vaisseau échoué, un assemblage rigide de béton, d’acier et de modules aux formes géométriques franches. La façade est percée de volumes jaunes qui semblent jaillir comme des touches de machine à écrire. On découvre plus tard que ce n’est pas une coïncidence : l’ensemble a été conçu dans les années 1970 comme une interprétation architecturale de la Lettera 22, célèbre machine à écrire d’Olivetti.
Nous nous approchons en silence. L’architecture est brute, fonctionnaliste, mais non dénuée d’une certaine élégance froide. Le bâtiment est en parfait état structurel, presque trop propre pour un site abandonné. Et pourtant, il est bel et bien désert. Pas de personnel, pas d’usagers, pas même un bruit mécanique. Tout semble avoir été figé à l’instant précis où la dernière clef a été tournée.

Nous passons une porte laissée entrouverte. Le hall s’ouvre, large, impersonnel. Sols en pierre claire, murs aux revêtements encore nets, mais légèrement passés. Le silence y est presque oppressant. L’éclairage est naturel, filtré par d’immenses baies vitrées. Les luminaires suspendus, le mobilier d’accueil, les panneaux d’orientation : tout est là, comme en veille prolongée.
Sur la gauche, un long couloir mène vers une série de salles : un cinéma, aujourd’hui vidé de ses sièges mais encore identifiable par la pente douce du sol, le cadre de l’écran, l’acoustique feutrée. Plus loin, une vaste salle à l’architecture remarquable, sans doute un auditorium, avec son plafond en gradins inversés et ses parois inclinées. Le lieu aurait pu accueillir une conférence internationale, un concert, un colloque universitaire.
L’étage, accessible par un escalier au garde-corps jaune canari, abrite ce qui semble être un hôtel : une enfilade de chambres identiques, toutes fermées, sobres, aux portes numérotées. Les couloirs sont tapissés de moquette grise. Aux intersections, des baies vitrées laissent entrevoir la ville d’Ivrea, en contrebas, tranquille et indifférente à cette présence fantomatique.






Le bâtiment, en dépit de son abandon, n’a rien d’un lieu vandalisé. Pas de graffitis, pas de vitres brisées, pas d’infiltrations majeures. Ici, le temps ne ronge pas, il suspend. On devine que le complexe a été désaffecté dans les règles, sans drame ni urgence. Il n’est pas en ruine, il est juste… en pause.
Cette impression est renforcée par les détails : les anciens plans d’évacuation toujours en place, les pictogrammes d’époque, les enseignes des toilettes, le numéro au-dessus de la réception. On sent l’empreinte d’un projet pensé dans les moindres détails, fruit d’une vision sociale et architecturale aujourd’hui disparue. Une sorte de capsule temporelle figée dans l’idéalisme industriel des années 70.
En sortant, nous restons un instant à observer la façade. Ce rêve de modernité, cette machine à écrire monumentale, est là, posée comme un vestige d’un avenir qui n’est jamais venu. Un lieu où tout aurait pu continuer. Mais où plus rien ne se passe.
👉 Après cette visite insolite nous reprenons la route direction Vercelli.


