Street Art Sardaigne

San Gavino Monreale

Après avoir quitté Serramanna, nous roulons à travers le Campidano. La route est droite, bordée de champs et de petites maisons. À l’horizon, San Gavino Monreale apparaît, tranquille, presque endormie. Pourtant, derrière ses façades discrètes se cache un véritable musée à ciel ouvert.

Cartes des Murales de San Gavino Monreale



Dès l’entrée dans le centre, les premières fresques nous accueillent. Impossible de les manquer : des murs entiers transformés en toiles gigantesques. Ici, le street art n’est pas une exception, il est partout, intégré au paysage urbain.

On se gare près de la piazza centrale et, à peine quelques pas plus loin, les surprises s’enchaînent. Sur une façade d’immeuble, une fresque monumentale représente un visage féminin aux yeux immenses, entouré de motifs floraux éclatants. Un peu plus loin, un vieil entrepôt est recouvert d’une peinture abstraite aux couleurs vives, comme un éclat de modernité posé sur la mémoire industrielle du village.

San Gavino Monreale n’est pas un hasard dans cette histoire : depuis 2014, l’association Skizzo et un collectif d’artistes locaux ont transformé la ville en un laboratoire d’art urbain. Aujourd’hui, on recense plus de 400 fresques dans les rues ! De quoi rivaliser avec Orgosolo, mais dans un esprit différent : moins de politique, plus de créativité contemporaine.

En déambulant dans les ruelles, on sent que chaque mur raconte une histoire. Certains évoquent les traditions sardes : scènes de vendanges, portraits de mineurs, femmes en costume traditionnel. D’autres au contraire ouvrent une fenêtre vers l’universel, avec des personnages fantastiques, des fresques oniriques ou engagées contre le changement climatique.


Quelques fresques emblématiques à ne pas manquer.

La fresque d’Eleonora d’Arborea, de Giorgio Casu.
Symbole de courage, de justice et d’indépendance, Eleonora d’Arborea incarne l’âme de la Sardaigne médiévale. Inspiré par cette figure légendaire, l’artiste Giorgio Casu lui rend hommage dans une fresque monumentale, où la “Juge d’Arborea” renaît sous des couleurs vibrantes. À travers cette œuvre, la mémoire d’une femme visionnaire — protectrice de la Carta de Logu et icône d’un peuple en quête de liberté — continue de vivre sur les murs de Sardaigne.


Fresque intitulée Kore de Giorgio Casu
Giorgio Casu a réinventé le mythe grec de Perséphone, appelée Kore (“la jeune fille” en grec ancien).
La fresque mêle symbolisme antique et esthétique contemporaine, avec un jeu de contrastes saisissant entre le noir et blanc du fond et l’explosion de couleurs des motifs floraux et des papillons.
Au centre, une femme hiératique — Kore — se dresse, la peau diaphane et le regard tourné vers la lumière. Dans sa main, une grenade rouge, symbole de vie et de mort, rappelle l’épisode mythique où Hadès l’attira dans le monde souterrain.
Autour d’elle, une envolée de papillons monarques figure le cycle éternel de la renaissance, tandis que le renard, le paon et le cerf incarnent la ruse, la beauté et la force vitale.
Sa robe bleue, tissée de fleurs et de formes géométriques, semble émerger de la terre comme une promesse de printemps. C’est toute la nature qui renaît à travers elle.
Le fond, en dégradé de gris, évoque le passage entre le monde des morts et celui des vivants — une porte symbolique vers la lumière, au centre de la composition.
Casu, fidèle à son style, mêle ici réalisme, surréalisme et spiritualité, dans un hommage vibrant à la féminité, à la transformation et au pouvoir de la nature.


La fresque Tramandare de Daniela Frongia
Sur ce mur de pierre brute, l’artiste Daniela Frongia tisse un lien entre les générations. Tramandare — “transmettre” en italien — est une œuvre à la croisée de l’art mural et du fibre art, où la pierre, le métal et le fil deviennent langage.
La fresque se compose de quatre visages : un homme âgé et un jeune garçon à gauche, une jeune fille et une vieille femme à droite. Les regards se répondent à travers le mur, comme un miroir du temps. Entre eux, au centre, des fils métalliques entrelacés forment une trame, une sorte de métier à tisser abstrait : c’est là que s’opère la transmission, invisible mais essentielle, du savoir, des traditions, de la mémoire.


Still alive — en mémoire de Sgravel
Fresque d’Andrea Casciu.
Un hommage visuel où la mémoire se prolonge : par son titre, l’œuvre affirme que, tant que l’art raconte, certains visages et histoires restent « vivants ». Curatée par Non solo murales SanGavino.


La fresque intitulée « Eva » réalisée par l’artiste espagnol Gabriel Moreno.
Inaugurée en septembre 2017, cette fresque occupe un mur de la Via Tiziano. Elle représente un portrait féminin captivant, orné de fleurs, de serpents et de motifs graphiques, caractéristiques du style de Moreno. Les tons dominants sont le noir, le blanc, le rose et le rouge, créant une ambiance à la fois onirique et intense.
Le titre « Eva » évoque la figure biblique d’Ève, symbole de la féminité, de la tentation et de la dualité entre innocence et transgression. L’œuvre semble interroger la place de la femme dans la société contemporaine, entre beauté, vulnérabilité et pouvoir. Les éléments naturels comme les fleurs et les serpents renforcent cette dualité, suggérant une réflexion sur la nature, la sensualité et la transformation.


La fresque intitulée « Senza Titolo » (sans titre) de l’artiste Ericaicane
Elle montre un âne gigantesque, attaché à une charrette qu’il semble traîner de force. La corde et le harnais sont très détaillés, donnant une impression de tension et de mouvement. La charrette derrière lui contient des objets colorés, presque comme des jouets ou des éléments de la vie humaine, ce qui contraste avec le réalisme sombre de l’animal.
Comme souvent chez Ericailcane, l’œuvre pourrait symboliser la lutte, le fardeau ou l’exploitation, ici représentée par l’âne forcé de tirer une charge.
Les objets dans la charrette peuvent représenter le poids de la société, des souvenirs ou des obligations, transformant l’animal en métaphore de l’homme face à ses responsabilités ou contraintes.
L’effet dramatique du mouvement et la taille monumentale de l’âne invitent à une réflexion sur la force, la résilience et la souffrance silencieuse.
En résumé, cette fresque est à la fois puissante et poétique, typique du travail engagé et narratif d’Ericailcane, qui utilise l’animal comme miroir de l’humain.


Une fresque murale en souvenir de Peppino Impastato un jeune activiste tué par la mafia le 9 mai 1978.
L’œuvre, réalisée par Paolo ‘Mamblo’ Mazzucco , déjà auteur de plusieurs œuvres disséminées dans la ville, elle est située Via Mazzini, près de l’intersection avec Viale Rinascita.


Interprétation personnelle de la fresque “Stimi Stami” de l’artiste Bastardilla.
Sur ce mur, une femme avance, silhouette solide et fragile à la fois, portant un enfant dans son dos. L’enfant, le regard tourné vers le ciel, lance des avions en papier comme s’il semait des rêves, des messages d’espoir ou des appels à la paix.
Mais juste au-dessus de sa main levée, les formes changent. Les traînées noires et rouges qui s’échappent semblent devenir autre chose : des traces de feu, des coulées de sang, ou peut-être les sillons de bombes tombant du ciel.

À force d’observer, j’ai fini par y voir une scène de bombardement, une mère tentant de protéger son enfant de la guerre.
On dit que de jour, la fresque évoque la fleur de safran, symbole du village. Mais de nuit, sous la lumière du lampadaire, apparaît cette lecture plus sombre : celle d’une mère défendant la vie face à la destruction.
Je ne sais pas ce que Bastardilla voulait dire, et peut-être que cela importe peu.
Ce que moi j’y vois, c’est la lutte d’une femme, la peur d’une mère, et la fragilité de l’enfance face à la violence de la vie.
Un contraste saisissant entre le jeu et la guerre, la tendresse et le sang, la lumière du jour et la vérité de la nuit.
Cette interprétation n’engage bien sûr que moi, mais elle m’a profondément touché.
Et c’est sans doute cela, la force de cette fresque : nous obliger à voir ce que nous portons en nous — nos peurs, nos espoirs, et ce besoin viscéral de protéger ce qu’il reste d’humain.


Les fresques engagées – Plusieurs murs portent des messages contemporains : protection de l’environnement, dénonciation des injustices, appel à la tolérance. Ces œuvres donnent une dimension universelle au projet muraliste.

Fresque célébrant la Résistance
Ci dessous une œuvre, de Francesco Del Casino qui s’étend sur plus de 100 mètres carrés, est divisée en deux sections : l’une occupe le grand mur de la Piazza Resistenza, l’autre s’étend sur le poste électrique d’Enel adjacent.
L’artiste a réalisé cette immense fresque murale avec une maîtrise remarquable, transformant un espace industriel et ordinaire en un véritable lieu d’expression artistique.


Une autre fresque la Méduse immense qui fixe les passants de son regard pétrifiant. Inspirée du Bouclier de Méduse peint par Le Caravage en 1597, cette fresque intitulée « Le Caravage débarque en Sardaigne » est un hommage au génie du clair-obscur et un pont entre Florence et la Sardaigne, où l’art quitte le musée pour vivre sur les murs et parler à tous.



Place de la Musique, est un espace urbain qui a été réaménagé en très peu de temps grâce au travail collaboratif des jeunes habitants et de l’association culturelle Skizzo. On peut y admirer des graffitis spectaculaires dédiés aux grands musiciens italiens et internationaux

Bob Marley, Fabrizio de Andrè, Elvis Presley, Amy Winehouse, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Whitney Houston, Pavarotti, Kurt Cobain, Jim Morrison, John Lennon, Freddie Mercury, Tupac, Sid Vicious, Lucio Dalla et Miles Davis. David Bowie, Lucio Dalla et l’incontournable Andrea Parodi.


La balade est à la fois joyeuse et méditative. On se surprend à ralentir, à chercher le détail caché, à lever les yeux pour admirer les couleurs qui éclatent sous le soleil. Les habitants, habitués à voir des visiteurs se perdre dans leurs rues, sourient en nous voyant photographier chaque mur. L’art est devenu ici une fierté collective, un trait d’union entre générations.


San Gavino Monreale n’est plus seulement une petite commune du Medio Campidano : c’est une capitale du street art en Sardaigne, un lieu où l’on sent battre le cœur créatif de l’île.