Plaine du Pô,  Vercelli

Ancien sanatorium de Vercelli

La Bertagnetta.

La lumière du matin était douce sur Vercelli. Après le café, nous avons marché tranquillement jusqu’à La Bertagnetta. Pas besoin de sortir de la ville : l’ancien sanatorium est là, dissimulé dans un repli discret de l’urbanité, comme un secret oublié au cœur même du tissu moderne.

Le nom lui-même a quelque chose de doux et étrange, presque affectueux. Pourtant, le lieu fut tout sauf tendre. À l’époque où la tuberculose décimait les populations, les sanatoriums poussaient comme des champignons, à la recherche d’air pur et d’isolement. La Bertagnetta accueillait les malades dans le silence de parc immense, entre traitements expérimentaux et espoirs fragiles.

Aujourd’hui, il repose dans un demi-sommeil. À notre arrivée, un long bâtiment se dresse devant nous, avec ses fenêtres béantes comme des orbites vides. La végétation l’a encerclé, englouti presque. Une atmosphère pesante règne dès les premiers pas.

Il ne reste rien de ce magnifique jardin avec ses corps de garde, ni de la fontaine centrale entourée de dizaines de bancs pour aider les patients à se rétablir.

Le bâtiment, trapu et austère, ne crie pas sa présence. Il s’offre à ceux qui savent voir. Ses murs décrépis portent les cicatrices du temps, les graffitis d’adolescents, les ruissellements d’hiver.

De l’extérieur, le lieu avait tout pour exciter notre imagination : une bâtisse austère entourée d’une véritable petite forêt, aux grands arbres dressés comme des sentinelles et aux buissons touffus.

L’ensemble avait des allures de demeure hantée. Dans la région, on raconte des histoires de fantômes, de voix dans la nuit, de silhouettes entrevues derrière les fenêtres. Autant dire que nous étions curieux.

Mais en entrant, l’illusion s’est dissipée. L’ancien hôpital de pneumologie, aussi vaste soit-il, ne recèle presque plus rien de son passé. Les murs sont nus, les couloirs déserts, les pièces vidées. Il ne subsiste que le squelette d’un lieu de soins, rongé par le temps et le vandalisme. L’ensemble est moins évocateur que d’autres lieux visités les jours précédents.

À l’intérieur, l’air sentait la poussière et le vieux plâtre. Des couloirs silencieux s’enfonçaient dans la pénombre, parsemés d’éclats de verre, de papiers froissés, de souvenirs abandonnés. Ici, dans ces murs autrefois dédiés aux soins des tuberculeux, il ne reste plus rien de la médecine, sinon un étrange calme, presque religieux.

Dans une pièce plus vaste, le sol s’affaissait sous les gravats, mais un autel de marbre blanc tenait encore debout. Incongru, poignant, solitaire et intact. Il semble veiller sur les ruines, dernier vestige d’un passé où l’on croyait encore à la force des rituels et des bénédictions, comme si la foi était restée là, immobile, gardienne de quelque chose que nous ne pouvions plus comprendre. Audrey s’est approchée, a posé sa main sur la pierre froide. Moi, je me suis surpris à chuchoter.

Au sous-sol la table utilisée pour les autopsies est toujours là.

Des vitres brisées laissaient entrer des rais de lumière. Une lumière d’hiver, pâle, qui traçait des chemins d’or sur la poussière suspendue. Nous n’avons pas parlé. Il n’y avait rien à dire.

La Bertagnetta n’est pas spectaculaire. Mais elle murmure. Elle parle de ceux qui ont toussé ici, espéré ici. Elle parle aussi d’un monde qui ne sait plus quoi faire de ses fantômes.

Le silence du lieu est profond. Pas pesant, non. Mais creux. Comme si l’on avait vidé la mémoire de l’endroit, ne lui laissant qu’un décor.

Un peu d’histoire : l’hôpital de La Bertagnetta

Construit en 1941 pour accueillir les malades atteints de tuberculose et d’affections respiratoires, l’hôpital de La Bertagnetta a fermé ses portes en 1990. Il devait être transformé en maison de retraite, un projet ambitieux soutenu par de généreux fonds publics. Mais l’entreprise chargée des travaux a détourné l’argent et n’a jamais commencé le chantier. Après une brève réouverture pour héberger des réfugiés, le site a été définitivement abandonné en 1996.


👉 Retour a Vercelli entre pierres et rizières