
Besoin d’air et de souffle
L’année 2007 a été rude. Le travail marche bien, trop bien même, au point que j’y ai laissé des heures et des forces sans compter. À cela s’ajoute la séparation avec Myriam, qui m’épuise et m’oblige à repenser ma vie. Je m’approche de mes 50 ans et je sens qu’il est temps de faire le point, de souffler, de reprendre du recul.
Alors je confie la gestion de mon entreprise à Thierry et je décide de m’évader. Un vrai break. Direction la Corse pour tout le mois de mai, chez ma sœur. J’y retrouverai mon nouveau petit neveu Matéo, et j’y fêterai mes 50 ans le 23 mai, entouré des miens.
Le départ se fait simplement, depuis Marseille, un vol court qui marque pourtant le début d’un grand moment.
Atterrissage en été
L’avion ouvre ses portes : BAM, 30 degrés en pleine poire un mois de mai. J’ai à peine posé le pied sur le tarmac que mon T-shirt colle déjà.
Ma sœur m’attend à la sortie, débardeur léger, sourire large, bronzage insolent. Fraîche comme un figuier en mai.
— « Tu vas voir, ici on vit dehors ! »
Sauf qu’à cette heure-là, même les geckos cherchent la clim. On grimpe en voiture.
— « Il y a combien de kilomètres jusqu’à San Ciprianu ? »
— « En mai c’est rapide, il n’y a personne. »
Pas de panneaux, pas de distances, juste un art de vivre qui se mesure en virages, en bouchons et en temps de cuisson à l’ombre. C’est aussi ça, la Corse l’été.
Une semaine dans le maquis
La route serpente jusqu’à la petite maison de ma sœur, posée au milieu du maquis. C’est là que je vais poser mes valises pour commencer ce mois de mai corse. Le calme, les odeurs de ciste et de myrte, le chant des oiseaux : tout est là pour m’aider à décrocher.
Pendant cette première semaine, je bricole autour de la maison. Je crée une petite chambre sur la terrasse extérieure, j’arrange le jardin, je donne un coup de main là où il faut. Et surtout, je profite de Matéo, ce petit neveu tout neuf qui me fait fondre à chaque sourire. Les journées s’écoulent tranquillement, entre coups de marteau, jeux de bébé et discussions avec ma sœur. Tout se passe bien. Le rythme ralentit enfin.
Et puis, un coup de fil change la donne. J’apprends qu’un couple d’amis a décidé, un peu sur un coup de tête, de passer une semaine en Sardaigne. Pas question d’hésiter : dare-dare, je décide de les rejoindre. L’occasion est trop belle.
Cap sur la Sardaigne
Je prépare mes affaires. Quelques heures plus tard, je me retrouve sur le ferry, cap sur la Sardaigne. En à peine 50 minutes, le paysage change. Les eaux turquoise semblent avaler le temps, et chaque vague qui claque contre la coque me rapproche d’un autre monde, plus minéral, plus lumineux, presque irréel.
Là-bas, plages désertes, criques oubliées, étangs paisibles et falaises rouges m’attendent. Un city break version grand bleu, entre îles granitiques, vents salés et baignades inoubliables. C’est parti pour quatre jours à explorer le nord de l’île, à perdre la notion du temps, le visage au soleil et le cœur léger.
Pour découvrir le récit complet de ces quatre jours en Sardaigne, vous pouvez consulter l’article suivant : Escale en Sardaigne – 4 jours à la découverte des plages du nord.

Retour en Corse
Le ferry accoste à Porto-Vecchio. Deux heures de traversée à peine, et me voilà de nouveau en Corse. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir vécu bien plus qu’un simple aller-retour.

La petite maison du maquis m’attend, avec son jardin, ses odeurs de thym et de ciste. Matéo rit aux éclats quand je franchis la porte : comme si j’étais parti des semaines. Ma sœur me raconte les nouvelles du village et de l’attraction « la postière de San Ciprianu » et le quotidien reprend son rythme — entre repas dehors, baignades, et les mille petites choses simples qui font le charme d’un séjour corse.
Ces cinq jours en Sardaigne me laissent une impression étrange : j’ai traversé un bras de mer, mais aussi une frontière intérieure. J’ai soufflé, j’ai vu d’autres horizons, j’ai retrouvé le goût du temps libre.
Le reste du mois s’annonce doux, entre balades, bricolages et préparatifs pour mon anniversaire. Bientôt, le 23 mai, j’aurai 50 ans. Un cap, certes, mais dans ce décor, entouré des miens, il ressemble davantage à une promesse qu’à une inquiétude.
Dans le temps qui me restait, je me suis plongé dans la Corse côté terre. Je me documente, je trace des itinéraires sur la carte, je note des noms qui résonnent comme des invitations : Sartène, la granitique, avec ses ruelles serrées et son tempo grave ; Bonifacio, juchée sur ses falaises blanches, la citadelle au-dessus de la mer qui s’effrite ;

Bastia, le Vieux-Port, la lumière sur les façades et l’élan baroque des églises. Plus haut, l’Alta Rocca : Lévie, Zonza, Quenza, les châtaigniers, les ponts génois et les torrents qui filent sous la pierre.

Et puis les aiguilles de Bavella, cathédrales de roche dressées dans le ciel, sentiers qui zigzaguent entre pins tordus et belvédères.

Et partout, le long du littoral, se dressent les tours génoises, sentinelles immobiles face à la mer.

Certaines sont réduites à des ruines envahies de maquis, d’autres fièrement restaurées, mais toutes rappellent que cette île a dû se défendre et résister. Et partout, du drapeau qui flotte sur les mairies aux autocollants collés sur les voitures, revient ce visage noir bandé d’un foulard blanc : la tête de Maure, emblème identitaire par excellence. Symbole d’indépendance, d’unité et de fierté, elle accompagne chaque détour du voyage, comme si l’île elle-même murmurait à ses visiteurs : “Ici, nous savons qui nous sommes, et d’où nous venons.”
J’apprends que la Corse, cette montagne au milieu de la mer, ne se résume pas à ses plages. Derrière le maquis, il y a des histoires, des légendes, des villages accrochés aux pentes et des routes qui se mesurent en virages plus qu’en kilomètres. Un mois n’y suffira pas — et c’est très bien ainsi : cela laisse des promesses pour la suite.
Début juin, il est temps de quitter la Corse. Cette fois, le voyage se fait par les airs : de Figari, je prends l’avion pour retrouver le continent. Ma sœur m’accompagne jusqu’à l’aéroport, et sa présence rend ce départ plus doux. On marche côte à côte dans le terminal, échangeant des sourires et quelques mots légers, comme pour retarder l’inévitable séparation avec l’île.

En sentant l’avion décoller, je sens monter cette étrange combinaison de nostalgie et de gratitude. La Corse, avec ses montagnes escarpées et son maquis parfumé, restera à jamais gravée dans ma mémoire. Et déjà, dans le ciel qui s’éclaire au-dessus de Figari, je me surprends à imaginer le prochain voyage, la prochaine aventure qui prolongera cette parenthèse hors du temps.
L’avion se pose enfin sur le continent, à Marseille. La chaleur méridionale m’accueille, différente de l’air salin de Corse, mais pleine de familiarité. Après avoir récupéré mes bagages, je prends la navette qui me conduit jusqu’à la gare Saint-Charles, où l’animation de la ville et le flux constant de voyageurs créent un contraste frappant avec le calme des villages corses.
Le train m’attend pour Narbonne. La locomotive s’ébranle, filant sur les rails qui longent la côte et traversent les plaines, et je me laisse porter par le mouvement, le regard perdu dans le paysage qui défile. Entre le rythme régulier du train et les souvenirs des derniers jours, je sens doucement le retour à la vie quotidienne se mêler à la réminiscence de ce mois exceptionnel. Chaque virage du train semble murmurer que, bien que la Corse s’éloigne, son empreinte reste intacte, prête à nourrir de futurs voyages.
Ce mois en Corse restera gravé comme une parenthèse hors du temps. Entre les montagnes escarpées et le maquis odorant, les villages suspendus et les plages secrètes, chaque jour a été une découverte, chaque détour une promesse tenue. La Corse ne se révèle jamais entièrement, mais c’est justement ce mystère qui la rend si attachante : elle invite à revenir, à prolonger l’aventure, à refaire le chemin des ruelles pavées et des sentiers oubliés.
En quittant l’île, le cœur empli de souvenirs, on comprend que voyager, ce n’est pas seulement changer de lieu, mais aussi laisser une part de soi dans chaque paysage traversé et emporter avec soi l’écho des émotions ressenties. Et déjà, sans surprise, l’envie de revenir se fait sentir, car certaines beautés, comme celles de la Corse, sont impossibles à oublier.

