Con Dao,  Divers Vietnam

Côn Đảo – Quatre jours entre mémoire et paradis

« Une île, deux visages. Le paradis en surface, l’enfer dans les entrailles. »

Début novembre 2019, avec Réglisse, on a mis le cap sur Côn Đảo, cet archipel méconnu posé au large des côtes vietnamiennes. Quatre jours à s’imprégner de sa beauté sauvage, à remonter les traces d’un passé tragique, à se laisser envoûter par ses plages, ses forêts, ses routes désertes… et ses fantômes.

  1. Jour 1 : Premiers tours de roue sur la côte sud
  2. Jour 2 : Les tortues et les trésors marins
  3. Jour 3 : Une visite dans les ténèbres
  4. Jour 4 : Cap au nord-ouest

Pourquoi aller à Côn Đảo ?

Pour ses plages désertes, ses forêts primaires, ses tortues de mer, mais surtout pour l’émotion. Car Côn Đảo, c’est aussi l’ancien bagne de Poulo Condore, théâtre de l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale française et de la guerre du Vietnam. Une île qui vous saisit autant par sa beauté que par sa mémoire.


L’île de Poulo Condor, autrefois synonyme d’enfer terrestre, est aujourd’hui l’un des plus beaux secrets du Viêt Nam. Ici, l’ombre des geôles coloniales plane encore au-dessus des plages immaculées et des forêts primitives. Pendant quatre jours, j’ai marché sur cette frontière floue entre beauté naturelle et mémoire tragique, entre jungle et cage à tigre.”


Dès l’atterrissage à l’aéroport de Côn Đảo, un souffle chaud et salé m’accueille. La mer, d’un bleu infini, s’étale au pied des montagnes vertes. Mais derrière cette carte postale, je sais que se cache une histoire de douleurs et de silences.


Jour 1 : Premier souffle sur l’île

Après avoir déposé notre sac dans une petite chambre du Horizon Côn Đảo Hotel, simple mais propre, avec vue sur les montagnes couvertes de brume, nous avons filé louer un scooter. Il n’était pas question d’attendre. Dès nos premiers tours de roue, le vent chaud du large est venu caresser nos visages. Devant nous s’ouvrait la route côtière de Côn Sơn, ce ruban d’asphalte qui enlace la partie sud de l’île.

Longue d’environ 25 kilomètres, cette route est sans doute la plus belle du Vietnam. Elle s’élance depuis le quai touristique, longe la plage d’An Hai — vaste étendue de sable blond baignée par des eaux transparentes — puis serpente à travers des paysages de plus en plus sauvages.

Le scooter grimpe sans effort : la pente est douce, la chaussée impeccable. Au détour d’un virage, un promontoire surgit, dominant l’océan : Mũi Cá Mập, le Cap du Requin, baptisé ainsi pour sa forme qui évoque une mâchoire de squale avançant dans la mer. Là, on s’est arrêtés, saisis. Le panorama est à couper le souffle. Loin devant, l’île se perd dans une palette de verts et de bleus. Les seuls sons : le ressac, le vent, et parfois, le cri d’un rapace.

On continue, grisés. La route borde bientôt les confins du Parc national de Côn Đảo. Ici, la jungle reprend ses droits. Des arbres majestueux, des racines noueuses, une canopée dense qui abrite une faune riche — dont ces singes, peu farouches, qui viennent nous observer depuis les branches. L’un d’eux s’approche, curieux. Réglisse lui tend un bout de fruit. Il le saisit avec une grâce presque humaine.

Sur le chemin du retour, on s’arrête à la plage de Nhat, souvent invisible à marée haute. Par chance, elle est là, comme une apparition. Sable blanc, eau turquoise, aucune trace humaine. On se baigne seuls, ivres de beauté.

Avant la tombée du jour, on grimpe au sommet de l’Amour. Un nom un peu kitsch, mais la vue vaut tous les clichés. De là-haut, Con Dao s’offre dans toute sa splendeur : montagnes, océan, forêt — un tableau vivant.

Pour clore cette première journée, on fait une halte à la Pagode de Nui Mot, (Van Son Pagoda) dominant le lac d’An Hai (lac de lotus Haï). La lumière du soir dore les toits courbés du temple. L’encens s’élève dans le silence. Des prières murmurées flottent dans l’air.

C’est notre premier soir ici. On ne le sait pas encore, mais Con Dao va nous marquer à jamais.


Jour 2 : Plongée dans les eaux claires, rencontre avec les géantes

Réveil tôt ce matin. Le soleil pointait à peine que nous étions déjà sur le port. Aujourd’hui, on quitte un instant la terre ferme pour explorer le monde marin de Côn Đảo, réputé comme l’un des plus préservés du Vietnam.

À bord d’un petit bateau de pêche transformé en navette touristique, nous avons pris le large. L’équipage, tout sourire, nous tend masques et tubas. Cap sur l’îlot de Bay Canh, célèbre pour ses plages immaculées… mais surtout pour ses tortues de mer.

D’août à novembre, les œufs éclosent et on peu participer à l’activité de remise à la mer des bébés tortues. Ce jour-là, nous avons eu la chance inouïe d’assister à une remise en mer de bébés tortues. Ces petites créatures, longues de quelques centimètres à peine, s’élançaient vers les vagues, instinctivement, dans une course effrénée pour la vie. Un spectacle bouleversant.

Le guide nous explique que l’île est un haut lieu de préservation écologique, et que les habitants sont très attachés à la protection de leur patrimoine naturel. Il nous montre aussi les bassins d’éclosion surveillés par les gardes du parc national. Tout est fait pour que ces tortues survivent.

L’après-midi, on part à la conquête des quatre iles : hòn Trác lớn, hòn Trác nhỏ, hòn Tài lớn, hòn Tài nhỏ (Big Trac Island, Small Trac Island, Big Tai Island, Small Tai Island).

L’eau est chaude, limpide. Sous la surface, un monde s’anime : des poissons multicolores, des anémones géantes, des étoiles de mer bleues… Et surtout, des forêts de coraux, vivants, dansants, colorés comme des jardins sous-marins.

On passe des heures à flotter, à se laisser porter, fascinés.

En fin de journée, retour sur la grande île. Le bateau tangue doucement sur une mer d’huile. Le ciel s’enflamme à l’horizon. On reste silencieux, le cœur encore au fond des flots.

Cette île est décidément un monde à part, entre ciel, mer et magie.


Jour 3 – Le silence des pierres

Difficile d’imaginer que cette île paradisiaque fut autrefois un enfer. Pourtant, ce matin-là, en longeant les rues calmes de Côn Đảo, une autre ambiance nous gagne. Plus grave. Plus solennelle. Nous partons visiter les anciens sites pénitentiaires.

Nous commençons par la prison de Phu Hai, la plus ancienne, puis enchaînons avec les camps de Phu Tuong, Phu Tho, Phu Hung… Des noms qui résonnent comme des échos de souffrance. Là, sous nos yeux, se dressent les vestiges du bagne colonial et de ses prolongements américains. Murs lézardés, barbelés rouillés, cages à tigres, cellules aveugles… Le silence qui habite ces lieux est plus lourd que mille cris.

Rien ne prépare vraiment à ce que l’on découvre ici. Derrière un jardin, on tombe sur un escalier qui mène aux cellules souterraines de Phu Tuong. À quelques pas de là, le hangar à vaches et les baraquements des prisonnières politiques. On ressort de là le cœur noué.

En fin de journée, on rejoint le cimetière Hang Duong. Le soleil descend lentement, dorant les tombes blanches alignées comme des rangées de souvenirs. Devant celle de Võ Thị Sáu, des offrandes, des fleurs, et ce silence habité, presque sacré.

Cette journée, nous l’avons racontée plus en détail dans un article à part. Si vous avez le cœur bien accroché, c’est [par ici : Une visite dans les ténèbres ]


Jour 4 – Cap au nord-ouest

Pour notre dernier jour à Côn Đảo, on a choisi de partir vers le nord-ouest de l’île, là où la route devient plus sauvage, plus déserte. Tôt le matin, on enfourche notre fidèle scooter, un peu fourbus mais encore éblouis par tout ce que l’île nous a déjà offert.

La route qui mène au camp de Tra Trau est l’une des plus belles que nous ayons empruntées sur l’île. À chaque virage, des paysages à couper le souffle : falaises plongeant dans l’océan, criques turquoise, forêts denses où les troncs s’entrelacent comme des veines anciennes. Le vent est doux, l’air embaume la résine et l’iode. Il y a peu de circulation – juste nous, le chant des oiseaux et parfois le cri lointain d’un macaque.

On s’arrête longuement au bord de la lagune de Tra Trau, un havre paisible aux eaux calmes, entouré d’herbes hautes et de collines vertes. L’endroit est parfait pour pique-niquer, méditer ou simplement se laisser bercer par le silence. Le camp militaire tout proche, fermé au public, ajoute une pointe de mystère à l’atmosphère.

Sur le chemin du retour, on s’arrête une dernière fois pour contempler l’horizon. Côn Đảo nous a offert bien plus qu’un voyage : une leçon de beauté, de mémoire et de résilience.



Saveurs marines de Côn Đảo

Difficile de quitter Côn Đảo sans évoquer sa cuisine, simple, généreuse et profondément ancrée dans son environnement insulaire. Ici, la mer est à l’honneur. Chaque plat raconte un peu l’histoire de l’île, entre traditions locales et produits frais pêchés au large.

Parmi les incontournables :

  • Cá Bớp Nướng Mắm – Le barramundi, roi des poissons à Côn Đảo, est ici grillé et nappé de nước mắm, cette fameuse sauce de poisson fermentée vietnamienne. Un plat emblématique aux saveurs franches, qui se déguste souvent accompagné d’herbes fraîches et de riz blanc.
  • Cá Mập Rang Muối – Le requin, abondant dans les eaux de l’archipel, est frit avec du sel et des épices. Une recette audacieuse, au goût puissant, à réserver aux amateurs de sensations marines fortes.
  • Hàu Nướng Mỡ Hành – Les huîtres grillées à la graisse de porc et à l’oignon vert : une bouchée iodée et fondante, sublimée par une touche fumée et aromatique. Parfait à l’heure de l’apéritif.
  • Hêu Rim – Les palourdes sautées à l’ail et au nước mắm, servies bien chaudes. Une explosion d’umami, à savourer les pieds dans le sable.
  • Bánh Canh Cua – Une soupe onctueuse aux nouilles épaisses, agrémentée de chair de crabe fraîchement décortiquée. Un plat réconfortant, idéal après une journée de découverte.

Et pour accompagner tout cela…

  • Rượu Sim – Cet alcool de prune sauvage, produit localement, possède un goût à la fois doux et acidulé. À boire en digestif ou pour porter un toast face au coucher de soleil.

Infos pratiques.

Comment se rendre à Côn Đảo ?

  • En avion : Depuis Hô Chi Minh-Ville, vol direct avec Vietnam Airlines (45 min). Réservation fortement conseillée, peu de places.
  • En bateau : Depuis le port de Vung Tau, il existe un ferry rapide (3h30 à 4h). Moins cher mais plus long et dépendant de la météo.

Se déplacer sur place

  • Location de scooter : indispensable pour explorer librement l’île. Routes en bon état, circulation très limitée.
  • À pied : certaines portions de route côtière ou sentiers du parc national peuvent se faire à pied pour les amateurs de randonnée.

Où dormir ?

Nous avons séjourné à l’Horizon Côn Đảo Hotel – simple, propre, bien situé. Idéal pour un pied-à-terre tranquille.


Côn Đảo nous a offert bien plus qu’un voyage. Ce fut une plongée dans les profondeurs de l’histoire, une confrontation entre beauté pure et mémoire blessée. L’enfer d’hier est devenu le paradis d’aujourd’hui. Et pourtant, en marchant sur le sable chaud, on entend encore, parfois, les murmures de ceux qui n’ont jamais quitté les cages.