Plaine du Pô,  Vercelli

L’asile oublié – Vercelli

Ospedale Psichiatrico di Vercelli

L’aube était blafarde, silencieuse. Audrey m’a regardé avec un mélange d’excitation et d’appréhension. Devant nous, un portail entrouvert, rongé de rouille, donnait accès à un vaste complexe aux allures de ville fantôme.

Ce lieu, immense, a accueilli pendant près d’un siècle des milliers de patients. Internés pour des raisons médicales, sociales, politiques parfois, ils ont vécu derrière ces murs une vie souvent oubliée des archives officielles. Le bâtiment principal, en briques rouges, évoque l’architecture austère du XIXe siècle.

Dès qu’on a franchi le seuil du bâtiment principal, une odeur nous a saisis. Celle de l’humidité, tenace, épaisse, presque organique. Elle s’infiltrait dans les narines, se collait aux vêtements, nous ralentissait comme une main invisible posée sur l’épaule. Les murs suintaient encore, couverts de taches de moisissure et de peinture écaillée. Cette odeur — mélange de poussière, de médicaments, de passé en décomposition — provoquait un malaise diffus, une sorte de paralysie intérieure.

Et puis, il y avait l’immensité. Le site compte une vingtaine de bâtiments, tous semblables, disposés comme un petit village fantôme. Des ailes entières d’hôpital, reliées par d’interminables couloirs, bordés de cellules identiques. Les portes, désormais arrachées ou grandes ouvertes, formaient des enfilades de vides béants. À chaque pas, la même désolation, la même géométrie implacable.

Au sol, les traces d’un passé sinistre. Des revues de psychiatrie ouvertes sur des pages jaunies, des camisoles de force déchirées, des fauteuils roulants à demi rouillés. Dans une salle de soins, une boîte métallique contenant encore des flacons d’anciens médicaments. Plus loin, un électroencéphalographe, oublié là comme une relique d’un autre siècle.

Par endroits, des dossiers médicaux gisaient dans l’eau stagnante ou dans la poussière. L’encre avait parfois disparu, mais les noms, certains noms, tenaient bon. Ils luttaient contre l’oubli, griffonnés d’une écriture ancienne, penchée, presque élégante malgré l’horreur.

Et ce silence… Le silence d’un asile n’est pas celui d’une école abandonnée ou d’une usine vide. C’est un silence habité. Un négatif sonore. Il évoque tout ce qui a été crié ici. Des supplications, des colères, des prières. Des bruits de chaînes, de pas précipités, de portes qui claquent. Aujourd’hui, tout est figé, mais le lieu conserve leur empreinte. Un parfum lourd, un résidu de détresse. Un silence qui serre la gorge.

Dans une salle d’isolement, minuscule et sans fenêtres, Audrey s’est arrêtée. « Tu crois qu’ils criaient ici ? », a-t-elle murmuré. Et le silence lui a répondu.

L’air était lourd d’histoires. De ces lieux où la souffrance psychique se heurtait aux limites d’un système dépassé.

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