Urbex Sardaigne

Les trois cenrales ENEL du Flumendosa


Au cœur de la Sardaigne, dans la vallée du Flumendosa, s’étend un étrange paysage à la fois majestueux et mélancolique. On l’appelle L’Opera da Tre Salti, littéralement « l’Œuvre des Trois Sauts ». Ce nom désigne trois ouvrages hydroélectriques qui ont rythmé la vie d’un fleuve, façonné le destin de villages ouvriers et incarné les promesses – puis les revers – du progrès technique.


Trois centrales, trois époques

Le premier « salto » est situé en amont du lac de l’Alto Flumendosa. C’est là qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale commença la grande aventure hydroélectrique de l’ENEL.

Le barrage de Bau Muggeris, construit en 1949, et la centrale attenante, étaient à l’époque un symbole d’essor économique et d’emploi. Autour d’eux s’était organisé un village florissant : écoles, commerce, logements, une colonie de vacances pour les enfants. Aujourd’hui, presque tout a disparu.

Les ruines s’alignent le long de la route, des carcasses de voitures rouillent dans la poussière, et le silence est seulement troublé par le bourdonnement des turbines, toujours en activité malgré l’absence quasi totale d’habitants.


Le deuxième « salto » reprend le même scénario. La centrale hydroélectrique fonctionne encore, alimentant le réseau sarde, mais le village qui l’entourait est figé dans une torpeur irréversible. Une vingtaine de bâtiments se dressent, vides, comme des témoins d’un passé révolu. Même le vieux feu tricolore à l’entrée de la zone, jadis signe d’ordre et d’activité, clignote désormais dans le vide, interdisant l’accès à un lieu où plus personne ne vit.


Enfin, le troisième « salto » est le plus modeste.

Construit vers 1940, il abritait quelques logements pour le personnel et deux casernes des Carabinieri. Jusqu’aux années 1990, cette enclave continuait de battre au rythme de la production électrique.

Aujourd’hui, seules quelques façades, un grand bâtiment solitaire et une rangée de palmiers ravagés par les parasites subsistent. Ici encore, l’automatisation a remplacé l’humain, laissant place à une étrange atmosphère entre poésie et désolation.


Un paysage post-industriel

Ce qu’on découvre en parcourant ces trois étapes successives, c’est la matérialisation d’un paradoxe : la victoire de la technologie sur le besoin d’une présence humaine. Ces centrales continuent d’alimenter la Sardaigne en électricité, preuve de leur efficacité technique. Pourtant, elles le font dans un environnement presque déserté, où la nature reprend peu à peu ses droits et où les murs se fissurent sous le poids du temps.

Dans ces lieux, le progrès s’est transformé en isolement. La « révolution mécanique » a tenu ses promesses productives, mais elle a aussi ôté au territoire ce qui faisait sa vitalité : la vie quotidienne des ouvriers et de leurs familles. Il ne subsiste que le murmure constant des turbines et le souvenir d’une époque où la modernité et la collectivité se mêlaient encore.


Mémoire et réflexion.

L’Opera da Tre Salti est bien plus qu’un site industriel. C’est un symbole de la dualité du progrès : la capacité à construire de grandes œuvres techniques, et la facilité avec laquelle ces mêmes œuvres rendent l’humain superflu. Dans ce décor de béton, d’eau et de ruines, chacun peut lire une leçon sur les limites de la modernité.

En visitant ces villages, on comprend que l’automatisation totale n’est pas seulement un exploit technologique. C’est aussi une rupture silencieuse qui transforme des communautés entières en souvenirs.


Colonie ENEL de Bau Muggeris du lac Flumendosa

Près du lac de l’Alto Flumendosa, cette colonie accueillait les enfants des employés de la centrale voisine. Active des années 1950 jusqu’aux années 1980, elle est aujourd’hui en ruines, envahie par la nature . 


Carte des villages ENEL et de la colonie du fleuve Flumendosa


Blotti entre les montagnes d’Ogliastra et les plateaux granitiques du centre de la Sardaigne, le Parco Naturale di Santa Barbara est un vaste territoire sauvage et méconnu, façonné par l’eau et le silence. Ce n’est pas un parc à infrastructures, ni un site touristique balisé, mais une zone préservée, vivante et habitée, où se mêlent forêts profondes, anciennes colonies ouvrières, cascades secrètes et barrages d’un autre temps.