Béziers,  Narbonne

L’oppidum d’Ensérune et l’étang de Montady

Un soleil dans les vignes

On dit souvent que l’on ne connaît pas vraiment les lieux qui nous entourent. Combien d’entre nous partent en vacances à l’autre bout du monde, alors que leur propre région recèle de véritables trésors ?
Prenez par exemple la D609, cette route qui relie Béziers à Narbonne. Des centaines d’automobilistes l’empruntent chaque jour, sans se douter qu’à quelques kilomètres seulement s’élève l’oppidum d’Ensérune, un ancien village gaulois, et qu’au pied de la colline s’étend l’extraordinaire paysage de l’étang de Montady.


Un chemin qui mène vers l’Histoire

Un jour, poussé par la curiosité, j’ai quitté la nationale pour grimper la petite route qui serpente entre les vignes. La montée est douce, ponctuée de pins et de murets de pierres sèches. Au bout, un grand parking accueille les visiteurs. De là, quelques pas suffisent pour atteindre le sommet. Et soudain, le décor s’ouvre : un belvédère naturel, un horizon immense et, en contrebas, une figure géométrique fascinante.


Le soleil de Montady

Devant moi, l’ancien marais de Montady se déploie comme un immense soleil. Des dizaines de champs triangulaires, parfaitement alignés, convergent vers un point central. Ce motif n’est pas l’œuvre du hasard mais celle des hommes du XIIIᵉ siècle. Les seigneurs et moines de l’époque imaginèrent un système ingénieux pour assécher l’étang : des fossés rayonnants, reliés à un collecteur circulaire, qui évacuaient l’eau vers un réseau souterrain. Huit siècles plus tard, ce chef-d’œuvre d’ingénierie hydraulique est toujours en activité et offre un paysage unique en Europe.

Le regard suit ces lignes comme les rayons d’une roue, hypnotisé par cette organisation presque parfaite. La géométrie contraste avec l’anarchie des collines et des vignes alentour, donnant au lieu une allure irréelle, presque artistique.


L’oppidum d’Ensérune

Mais le panorama ne s’arrête pas à l’étang. Juste derrière moi, les vestiges de l’oppidum d’Ensérune rappellent que cette colline fut habitée dès le VIᵉ siècle avant notre ère. Les Gaulois y avaient établi un village fortifié, dominant la plaine pour mieux contrôler les voies de passage. L’oppidum connut son apogée à l’époque hellénistique, avant de décliner à la période romaine.

Aujourd’hui, on y déambule parmi les ruines des habitations, les citernes creusées dans le roc et les restes des fortifications. Un musée présente les objets retrouvés sur place : poteries, armes, outils, stèles funéraires… autant de témoignages d’une vie quotidienne déjà ouverte sur la Méditerranée, grâce aux échanges avec les Grecs et les Ibères.


Le tunnel des Moines : un ouvrage médiéval unique

Pour comprendre comment l’étang de Montady a pu être asséché, il faut regarder sous la colline. Les moines cisterciens du XIIIᵉ siècle ont percé un incroyable tunnel d’un kilomètre de long, creusé à la main dans le roc : le Tunnel des Moines.

C’est par ce conduit souterrain que s’évacuaient les eaux collectées par le réseau de fossés rayonnants. Elles rejoignaient ensuite l’étang voisin de Capestang, permettant de transformer les marécages en terres fertiles.
Encore aujourd’hui, ce système hydraulique médiéval est en fonctionnement, preuve de l’ingéniosité et de la solidité des ouvrages du Moyen Âge.


⚠️ À ne pas confondre : le Tunnel des Moines est bien distinct du tunnel du Malpas, percé plus tard, au XVIIᵉ siècle, pour permettre au canal du Midi de traverser la même colline. Les deux ouvrages sont voisins mais appartiennent à des époques et à des usages totalement différents.


Entre émotion et mémoire

En haut de cette colline, le visiteur oscille entre deux dimensions :

  • L’émotion immédiate devant la beauté du paysage, ce soleil agricole qui capte la lumière et donne l’impression d’assister à une œuvre vivante.
  • La mémoire historique, qui rappelle que les hommes, ici, depuis plus de deux mille ans, ont façonné et occupé ces terres avec ingéniosité et ténacité.

C’est sans doute cette alliance entre nature, histoire et paysage qui fait la force du site. On repart de l’oppidum d’Ensérune avec la conviction d’avoir découvert un lieu qui, à la fois, raconte le passé et continue d’émerveiller le présent.


Une invitation au détour

Si vous empruntez un jour la D609 entre Béziers et Narbonne, prenez le temps de quitter un instant la route. En quelques minutes, vous pouvez grimper jusqu’à l’oppidum d’Ensérune et découvrir le panorama unique de l’étang de Montady. Ce détour ne demande presque rien… et pourtant il offre un voyage à travers huit siècles d’ingénierie médiévale et plus de deux millénaires d’histoire gauloise.

Un lieu où le regard se perd, où l’imagination s’anime, et qui rappelle que parfois, les plus beaux trésors ne sont pas au bout du monde, mais juste là, tout près de chez soi.