
Manger des œufs de fourmis
Une curiosité culinaire méconnue
Un jour, en remontant une petite route de montagne dans le nord du Vietnam, on m’a proposé un plat au nom énigmatique : trứng kiến. Intrigué, j’ai accepté. J’ai découvert un mets inattendu, délicat, aux arômes subtils : des œufs de fourmis. Oui, vous avez bien lu.
Dans les provinces montagneuses comme Bac Giang, Lang Son ou Cao Bang, les œufs de fourmis sont un ingrédient saisonnier très prisé, récolté entre mars et mai. Les habitants les appellent trứng kiến (trứng = œuf, kiến = fourmi). Il s’agit principalement d’œufs de fourmis noires arboricoles, soigneusement extraits de leurs nids accrochés aux arbres.
Ces œufs minuscules, blanc nacré, sont ensuite cuisinés de différentes manières :
- Dans des gâteaux de riz gluant appelés bánh trứng kiến, délicatement grillés dans des feuilles de bananier.
- Sautés avec des oignons et des feuilles aromatiques, pour un goût à mi-chemin entre le beurre, le poulet et la noisette.
- Mélangés au riz collant, pour une version rustique mais nourrissante.
Ce plat est à la fois festif, rare, et profondément enraciné dans la culture ethnique des minorités Tay et Nung.




En Thaïlande et au Laos : une gourmandise forestière
Chez leurs voisins thaïlandais (khi mot daeng) et laotiens, les œufs de fourmis rouges (plus piquants que les noires vietnamiennes) sont utilisés dans la soupe, les omelettes ou même mangés crus avec des feuilles de bananier. Le goût est plus acidulé, presque citronné, et certains les considèrent comme aphrodisiaques.
Mexique, Colombie, Cambodge : quand les insectes deviennent festin
Le Vietnam n’est pas seul à apprécier les produits de la fourmilière. Au Mexique, on déguste les escamoles, œufs de fourmis géantes récoltés dans le centre du pays, surnommés caviar aztèque. Leur texture beurrée et leur prix élevé en font un plat de luxe.
En Colombie, on préfère griller les fourmis elles-mêmes (hormigas culonas), grosses et croquantes, à la façon des cacahuètes.
Au Cambodge, certains marchés proposent les œufs et les larves de fourmis comme friandise ou ingrédient pour des currys au goût acidulé et herbacé.
Pourquoi en manger ?
- Parce que c’est bon. Vraiment. Fins, savoureux, parfois surprenants.
- Parce que c’est durable. Les insectes consomment peu de ressources et représentent une source alternative de protéines.
- Parce que c’est culturel. Ces traditions culinaires témoignent d’un rapport ancien et respectueux entre l’homme et la nature.
Et moi, alors ?
J’y suis retourné. Plus d’une fois. Pour retrouver ce goût si particulier. Et aussi pour ce moment : celui où, dans une cuisine de montagne, une grand-mère me tend un bánh trứng kiến encore fumant, et me regarde sourire à la première bouchée.

