
Mas de las Matas
Après une nuit endiablée — le 15 août, ça se fête en Espagne — le lendemain, 16 août, fut une journée de repos imposé. Impossible de faire quoi que ce soit : Brice et Guillaume n’ont même pas réussi à sortir du lit. La veille avait été trop belle, trop longue, trop festive. Il faut dire que Henri et Myriam nous avaient rejoints à Jaganta le dimanche 12 août au soir, et que nous avions tous célébré ensemble l’Assomption, dans une ambiance chaleureuse et débridée.
Ce n’est que le 17 août au matin que nous avons repris la route, direction Mas de las Matas.
Objectif du jour : acheter la charpente. Une nouvelle étape du chantier s’annonçait. Et cette fois, tout le monde était sur pied — ou presque.
On quitte le camping sous un ciel limpide, repus d’un petit déjeuner copieux et le cœur encore un peu vibrant des festivités de la veille. La route serpente à travers des paysages toujours plus secs, mais fascinants.
Premier arrêt : Abenfigo.

Petit village perché, silencieux sous la lumière matinale. Quelques chats somnolent à l’ombre, des murs blanchis s’écaillent doucement, et un vieux monsieur nous salue depuis un banc en pierre. Ici, le temps semble se diluer. Il n’y a presque rien à voir, et pourtant… Tout est là : l’authenticité, la lenteur, la poussière dorée d’un monde qui s’efface doucement.
On repart, le GPS hésite, les panneaux sont rares, mais on sait qu’on se rapproche du cœur du Maestrazgo.
Quelques virages plus loin, niché dans la vallée, Mas de las Matas se dévoile. Un bourg vivant, plus grand que les hameaux traversés jusque-là. Il y a là un peu plus d’agitation : des camions, des ateliers, une quincaillerie bien fournie, et ce qui nous intéresse aujourd’hui — le dépôt de bois.
La chaleur monte doucement, le soleil tape sur les toits de tuiles rouges, et l’odeur de sciure flotte dans l’air dès qu’on approche du hangar.
On tombe sur José, le patron, jovial, casquette vissée sur la tête et accent du coin bien trempé. Il nous fait visiter, montre des sections de pin, de sapin, compare les longueurs, nous conseille sur les assemblages. Ici, tout est encore un peu à l’ancienne : pas d’écran, pas de codes-barres, juste des mesures, des regards, et des poignées de main.
Après quelques allers-retours, des calculs sur le coin d’un carton et un café improvisé au comptoir, la commande est passée. La charpente est prête à être chargée.
On repart avec le sentiment d’avoir franchi une étape concrète. Le chantier avance. Lentement, mais sûrement.
Et avant de regagner le camping, une idée nous traverse : et si on profitait du reste de la journée pour explorer encore un peu les alentours ? Il reste tant de coins secrets dans ce Maestrazgo de pierre et de silence…
Nous en profitons pour visiter le village.
Mas de las Matas mérite bien qu’on s’y attarde. Blotti dans un méandre du río Guadalope, c’est un de ces bourgs ruraux qui garde une certaine fierté discrète. On y sent l’histoire, le travail de la terre, le passage des générations.

Le cœur du village s’organise autour de la plaza Mayor, vaste, bordée de façades en pierre, d’arcades et de balcons en fer forgé.

L’église paroissiale de San Juan Bautista, avec sa tour carrée et son clocher élancé, impose sa silhouette sobre mais élégante. À l’intérieur, une belle lumière filtre par les vitraux, et le silence semble envelopper les bancs comme un drap ancien.

On flâne dans les ruelles pavées, où s’alignent des maisons aux murs patinés par le temps. Quelques-unes portent encore les blasons familiaux sculptés dans la pierre. Ici et là, des fontaines rafraîchissent l’ambiance, et de petites plaques signalent les points d’intérêt du circuit patrimonial.


Un petit détour nous mène au centre d’interprétation de l’histoire locale, installé dans une ancienne maison noble. On y découvre, entre autres, des objets du quotidien d’autrefois, des documents sur les moulins à farine du Guadalope, et même des outils agricoles oubliés. Le lieu est modeste, mais riche de mémoire.
Avant de repartir, nous poussons jusqu’aux hauteurs du village : de là, la vue s’ouvre sur les vergers, les champs en terrasse, et plus loin, sur les collines arides qui annoncent les terres du Haut Maestrazgo.
Un village comme un souffle, à la fois simple et digne. On reprend la route, apaisés, avec l’impression d’avoir effleuré une Espagne profonde, préservée, presque secrète.
Le 17 août s’achève sur ces images paisibles, comme un baume sur nos épaules fatiguées. Mais pas question de traîner : demain, la charpente doit être posée.
Le 18 août, au petit matin, le chantier reprend vie. Le soleil tape déjà fort sur les tuiles empilées, les madriers attendent leur heure. Avec Brice et Guillaume, on s’organise : chacun sait ce qu’il a à faire. La structure commence à s’élever et l’ossature de notre future “casa” prend forme sous nos yeux sans permis de construire.




Le soir, alors que la lumière décline sur les collines, un responsable communal de Las Parras de Castellote — dont Jaganta dépend administrativement — passe nous rendre visite sur le chantier. Il nous informe que nous devons nous présenter à la mairie pour récupérer les bons nécessaires à l’achat du compteur d’eau à l’Office de l’eau d’Aguaviva, où nous pourrons officialiser la demande.
Ce simple geste a une portée symbolique : aux yeux du village, nous devenons vraiment propriétaires.
Sur place, on devra règler aussi une petite taxe — moins de 10 euros, une sorte de taxe foncière locale — ainsi qu’un droit d’accès à l’eau et à l’électricité, car, paraît-il, le raccordement électrique existe déjà, quelque part, enfoui dans un coin de notre maison.
C’est modeste, presque banal, mais ce soir-là, on se sent enracinés.
Le lendemain direction un village suspendue entre ciel et pierre : Cantavieja


