Retour à Jaganta
Avec Brice, nous sommes revenus à Jaganta en ce début juin, quelques semaines après avoir concrétisé l’achat de la ruine — notre ruine, celle qu’on avait repérée en mai. Nous avons élu domicile à la casa Espada, et c’est dans cette maison aux pierres fatiguées que le passé a commencé à nous parler.
C’est Carmen, une tante éloignée, qui a ouvert les premières portes. Grâce à elle, nous avons mis un nom sur des visages flous, appris que mon grand-père s’appelait Jesús, et que sa mère était surnommée « la Roya », à cause de sa chevelure rousse flamboyante. Pas « la Jubia » comme je le pensais au départ, mais « la Rouge » — une femme au caractère bien trempé, paraît-il, comme le sont souvent celles qui vivent trop près du feu des histoires familiales.
Jaganta, aujourd’hui, ne compte plus qu’une vingtaine d’habitants, presque tous retraités. Pourtant ce dimanche, le hameau était vivant. Des familles venues de Barcelone, de Saragosse — les enfants ou petits-enfants de ceux qui ont quitté le village dans les années 1950, quand les mines de lignite ont fermé — sont revenues pour le week-end. Le village bruissait de conversations, de souvenirs croisés, de retrouvailles entre cousins éloignés qui ne se connaissaient pas.
C’est ainsi qu’on nous a parlé d’un moulin à huile devenu musée, de l’ancienne école où garçons et filles étaient séparés, des bals d’été et de la dureté de l’hiver. Et puis, des légendes. Parce qu’à Jaganta, comme partout où la terre est rude, les récits sont des refuges.
Une des histoires les plus étranges — celle qu’on nous a chuchotée avec des sourires en coin — concerne Fidel Castro. Selon certains, la place du village aurait été financée par le révolutionnaire cubain. Fantasme ? Délire d’un soir d’été ? Peut-être. Mais les anciens affirment que le père de Fidel venait souvent dans la région, et que Jaganta aurait été un refuge pour les résistants pendant le franquisme. En creusant, on apprend que Ángel Castro Argiz, père de Fidel, était originaire de la province de Lugo, en Galice. Pourtant, certains documents suggèrent qu’il aurait voyagé plus jeune, avant de partir pour Cuba… Peut-être a-t-il connu ces terres de Teruel ? Le mystère reste entier, comme le sont souvent les vérités transmises par fragments.
Parmi les figures qu’on évoque ici avec fierté ou douleur, il y a aussi les maquisards espagnols — appelés « los guerrilleros », ou simplement « la guerrilla antifranquista ». Après la guerre civile, ils se sont réfugiés dans les montagnes de l’Aragon, du Levant, du nord de la Castille. Certains ont été tués, d’autres trahis, beaucoup ont disparu sans trace. Jaganta, de par son isolement, aurait été l’un de ces points de passage ou de repli. Mon grand-père Jesús, d’ailleurs, a quitté l’Espagne vers 1925, bien avant la guerre civile, pour s’installer en Languedoc-Roussillon. Était-ce déjà la peur du régime naissant ? Une intuition ? Un pressentiment ? Il n’est reparti à Jaganta que dans les années 1970, alors que Franco vivait encore. Et je me souviens : il n’était pas tranquille. Il regardait autour de lui avec prudence. Quelque chose de lourd semblait peser sur lui. Une peur ancienne, jamais vraiment éteinte.
Il reste dans l’air de Jaganta comme un parfum d’histoire inachevée, faite de silences et de regards en coin. Une époque enfouie sous les pierres, les chuchotements, les souvenirs fragmentés. Et puis, au milieu de ces légendes, de ces résistances oubliées, nous étions là, Brice et moi, avec notre propre histoire à écrire.
Mais les pierres, elles aussi, ont leurs papiers. Et c’est là que tout est devenu difficile..
Il n’y avait aucun acte de propriété en notre possession. Rien de clair, rien d’officiel. Juste des souvenirs, des noms, des promesses transmises de bouche à oreille. Nous nous sommes donc rapprochés d’un notaire, un homme du pays, qui nous a dit sans détour :
« Ici, c’est fréquent. »
En Aragon, comme dans d’autres coins de l’Espagne rurale, beaucoup de maisons se sont transmises sans formalité. Les actes ne suivent pas toujours les héritages, les ruines sont parfois vendues à l’oral, et la mémoire tient lieu de cadastre.
Le notaire nous a expliqué la procédure. Une attestation de propriété manuscrite, rédigée et signée par la personne se déclarant propriétaire, accompagnée de deux témoins. Une fois ce papier rédigé, il faut l’apporter à la mairie de Las Parras de Castellote, s’acquitter d’une petite taxe locale, faire tamponner et signer le document, puis se rendre au cadastre de Teruel, avec un plan de situation, une vue aérienne (type Google Maps), et faire enregistrer la propriété.
Mais avant cela, un autre obstacle : il nous fallait un NIE (Numéro d’Identification Étranger). Moi, je l’avais. Brice, lui, ne l’avait pas encore. Il fallait donc entamer la démarche auprès de l’administration espagnole, à Teruel — et comme souvent, ce genre de formalité peut devenir une course d’endurance, entre paperasses, traductions officielles et délais incertains.
Tout cela a ralenti notre rêve. Le retour à la terre, à la mémoire familiale, s’est heurté aux lenteurs administratives.
C’est comme si la maison elle-même testait notre volonté, comme si elle voulait s’assurer que nous étions dignes de lui redonner vie.
Et au fond, peut-être est-ce cela aussi, l’Espagne intérieure : un pays où chaque pierre a son fantôme, et chaque ruine, sa procédure.
Deux jours après la visite chez le notaire, les papiers de la vente enfin en main, nous étions devant l’Office des étrangers à Teruel, déterminés à obtenir le NIE pour Brice. Une formalité indispensable, mais ici, chaque démarche se mérite.
Six heures d’attente. Debout, dans une file interminable, sous le soleil d’Aragon, à observer le ballet discret des démarches administratives. On approchait enfin du but quand, au moment précis où l’agent du ministère appelait notre numéro, Brice pâlit :
il avait oublié son passeport.
“Bababa…”, comme il dit quand ça déraille.
Pas de passeport, pas de NIE.
Obligés de revenir le lendemain.
Et c’est ça aussi, l’Espagne profonde : des papiers, des attentes, des contretemps… mais au bout du compte, une maison qui nous attend là-haut, au bout du chemin de poussière, au milieu des souvenirs, des pierres et des rêves.
FICHE PRATIQUE : Acheter une propriété en Espagne
1. Documents nécessaires pour l’acheteur
Acheteur étranger :
- Numéro NIE (obligatoire)
- Passeport ou carte d’identité
- Compte bancaire en Espagne (recommandé)
Acheteur espagnol :
- DNI (carte d’identité nationale)
2. Documents obligatoires pour la propriété
- Escritura de compraventa : acte de propriété
- Nota Simple : extrait du registre foncier
- Dernier reçu de l’IBI (impôt foncier annuel)
- Factures récentes (eau, électricité, gaz…)
- Certificat d’efficacité énergétique
- Référence cadastrale : infos sur la localisation, la surface, etc.
- Certificat DAFO : pour maisons de campagne
- Certificat des dettes communautaires : pour logements en copropriété
3. Selon le profil acheteur/vendeur
Vendeur / Acheteur | Documents requis pour le vendeur | Documents requis pour l’acheteur |
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Espagnol / Espagnol | Tous les documents de la maison + DNI | DNI |
Espagnol / Étranger | Idem vendeur + DNI | NIE + Passeport + Compte bancaire recommandé |
Étranger / Étranger | Idem vendeur + NIE + Passeport + Certificat fiscal si résident | NIE + Passeport + Compte bancaire recommandé |
Étranger / Espagnol | Idem vendeur + NIE + Passeport + Certificat fiscal si résident | DNI |

