Street Art Sardaigne

Serramanna : les murales oubliées de la Sardaigne

Après avoir parcouru les rues colorées de San Sperate, nous décidons de pousser notre curiosité un peu plus loin. La Sardaigne ne se limite pas à Orgosolo ou San Sperate lorsqu’on parle de peintures murales. Serramanna, un bourg discret de la plaine du Campidano, a elle aussi connu son âge d’or muraliste – même si aujourd’hui, bien peu de visiteurs s’y arrêtent.

Aux origines du muralisme sarde

Tout commence en 1968 à San Sperate, quand le sculpteur Pinuccio Sciola peint la première fresque. Quelques années plus tard, en 1975, c’est Francesco del Casino, professeur venu de Sienne, qui initie Orgosolo à l’art mural, couvrant à lui seul près de 90 % des façades peintes du village. Rapidement, le mouvement prend de l’ampleur, mêlant art et contestation sociale.
En 1977, Serramanna et Villamar deviennent des foyers d’expérimentation. Ici, la peinture sort de l’atelier pour devenir un cri collectif contre les injustices, l’impérialisme et les abus de pouvoir.


Serramanna, 1979 : « L’émigration est une déportation »

En 1979, l’une des fresques les plus fortes de Serramanna voit le jour. Antonio Ledda, Adriano Putzolu, Arba et Dessì peignent « L’émigration est une déportation ». Située au début de Viale Fra Ignazio, elle interpelle tous ceux qui arrivent du village voisin de Samassi. Véritable manifeste, elle reste aujourd’hui l’une des rares fresques encore visibles à Serramanna.
À l’époque, la jeunesse se mobilise. Les discussions, les assemblées, les pinceaux brandis comme des armes pacifiques… Tout respire l’envie de transformer la société et de croire qu’un monde meilleur est possible.


L’essoufflement et l’oubli

Mais l’élan finit par s’affaiblir. Tandis que San Sperate et Orgosolo réinventent leurs murales pour représenter la mémoire paysanne et les métiers d’autrefois, Serramanna, elle, laisse peu à peu disparaître ses fresques. Beaucoup sont recouvertes d’enduit, d’autres s’effacent au fil des ans. Ce qui fut autrefois la fierté de la communauté devient presque invisible.


La tentative de renaissance

En octobre 1995, une 1ère Exposition de muralistes est organisée derrière le marché civique de su Campu sa lua. Des artistes venus de toute la Sardaigne participent pour relancer la tradition. Mais l’initiative reste sans lendemain. Depuis, aucune politique culturelle ne vient sauver ou mettre en valeur cet héritage.


Aujourd’hui : quelques noms à retenir

Il reste peu de fresques à Serramanna, mais la mémoire demeure. La ville a vu naître des artistes de grand talent comme Luciano Lixi, Antonio Ledda, Ferdinando Medda et Flaviano Ortu. Des noms qui mériteraient une meilleure reconnaissance, tant leurs œuvres portaient l’esprit contestataire et poétique de toute une époque.


Une visite émouvante

Arpenter Serramanna aujourd’hui, c’est comme chercher des éclats de mémoire sur des murs parfois ternis par le temps. Les fresques survivantes ne sont pas nombreuses, mais chacune raconte une histoire vibrante : celle d’une jeunesse qui croyait, pinceau en main, pouvoir changer le monde