Street Art Sardaigne

Sur les routes de la Trexenta : fresques, villages et départ pour la Sicile

Le retour de Villamar à Cagliari fut assez fatiguant.
Notre journée à sillonner les villages de San Sperate, Serramanna, San Gavino Monreale et Villamar à la recherche de leurs murales nous avait littéralement épuisés.
Arrivés à destination, installés en terrasse à Cagliari, nous contemplions le coucher du soleil en discutant de la journée. C’est là que j’ai vraiment compris à quel point, en Sardaigne, le street art n’est pas qu’une forme d’expression artistique, mais un fait de société profondément ancré dans la culture locale.
Chaque village semble y trouver un moyen d’affirmer son identité, de raconter son histoire, ou simplement de faire revivre ses murs.
Et pourtant, en repensant à notre itinéraire, je me suis rendu compte que nous étions passés à côté d’un lieu important : Selegas et son hameau Seuni. Là-bas, il y a trois ans, dix artistes avaient transformé les rues, les places et les façades en une galerie à ciel ouvert, à l’occasion de la première édition du Prix Luigi Pu Art, une initiative organisée par la municipalité de Selegas.

La journée du lendemain était déjà programmée : Sestu et Monserrato , deux villes situées à proximité de Cagliari, figuraient sur notre itinéraire.

Mais l’idée d’aller à Selegas s’est imposée d’elle-même. Je me suis imaginé déambuler dans ses ruelles colorées, là où l’art contemporain dialogue avec la pierre ancienne, et où nous pourrions découvrir encore une nouvelle facette de cette Sardaigne créative qui ne cesse de nous surprendre.


C’est ainsi que, dès le matin suivant, nous prenons la route pour Selegas et son hameau Seuni.

Le village, au cœur de la Trexenta, respire la vie agricole. L’ancienne école primaire, transformée en centre culturel, témoigne d’un désir local de faire dialoguer mémoire et création.

Les murs affichent des fresques nées d’un mouvement d’art urbain lancé dans les années 1990 : scènes de la vie aux champs, agriculteurs, bœufs, mais aussi œuvres plus contemporaines comme une création de Tellas et une fresque à laquelle Alessio, un jeune peintre du cru, a participé.

Même les cabanes de l’aire de jeux ont été peintes — l’art s’invite partout.


Autour du village, les collines s’étendent à perte de vue. On distingue l’église campestre de Santa Vitalia et les cumbessias, tandis que les vignes rappellent que la terre nourrit aussi un autre art : le vin.

Non loin, la Cantina Argiolas produit le Turriga, ce rouge d’exception — et la présence, au centre de Selegas, d’une statue rendant hommage à la Déesse Mère relie la création contemporaine aux origines archéologiques du territoire.


Puis nous gagnons Seuni, petit hameau de moins de deux cents âmes, entouré d’oliviers et de vieilles pierres. Ce lieu est traversé par un tronçon de voie romaine, souvenir tangible des anciennes routes qui reliaient la Sardaigne.

Ce qui nous attire aujourd’hui à Seuni, ce sont ses murales.

À Seuni, nous n’avons trouvé que deux murales : la plus belle, sur la place, et une grande mosaïque un peu plus loin.

Ces œuvres sont les traces du Prix Luigi Pu Art, lors duquel des artistes avaient transformé façades et ruelles en véritables toiles à ciel ouvert : portraits d’anciens, scènes rurales, symboles et compositions abstraites où la couleur explose.


Après avoir profité de Selegas et de Seuni, il est déjà début d’après-midi. Le soleil est haut, et la lumière met en valeur les couleurs des collines et des vignes autour de nous. Nous reprenons la route vers Sestu, le premier des villages au programme.

Avant d’arriver à Sestu, nous faisons une courte halte à Ex Fornaci Picci, un ancien site industriel aujourd’hui envahi par le silence et la végétation.


Les murs de briques, rongés par le temps, conservent encore la mémoire du travail passé. Le lieu dégage une atmosphère à la fois mélancolique et fascinante, parfaite pour les amateurs d’exploration urbaine.
Vidéo de “TheSilentTube 83 – Sardegna di Roberto”, un magnifique témoignage visuel qui capture l’essence brute et poétique de ces lieux oubliés de Sardaigne.



Sestu nous accueille comme un petit bijou caché de la périphérie de Cagliari. Ses ruelles étroites et pavées, ponctuées de maisons basses aux façades ocres et roses, racontent l’histoire d’un village profondément attaché à ses traditions. Ici, pas de fresques monumentales comme à Selegas, mais l’authenticité se lit dans les détails : portes anciennes, carreaux peints, petites places où les habitants discutent à l’ombre des platanes.

Nous flânons lentement, savourant cette atmosphère tranquille qui tranche avec le tumulte de la ville.

Une visite intéressante l’église de San Giorgio, elle conserve une borne milliaire, des objets d’art ainsi qu’un ancien orgue très bien restauré.


Quelques kilomètres plus loin, nous atteignons Monserrato. Le village est plus grand, plus animé, et l’influence de Cagliari se fait sentir dans la vie quotidienne. Mais Monserrato a su garder un charme particulier : ses ruelles mènent à des places ombragées où la vie locale continue, ininterrompue, depuis des siècles. On remarque les petites chapelles et les maisons colorées, et nous ne manquons pas de nous arrêter pour observer les détails architecturaux et les petites œuvres d’art disséminées ça et là, comme ces mosaïques murales ou ces carreaux peints sur les façades.


À Monserrato, l’art s’invite donc sur les murs, dans les hangars désaffectés, sur les façades d’écoles.

C’est dans un ancien aéroport militaire que tout commence. À première vue, on y voit des bâtiments en ruine, des murs tachés par le temps, des herbes folles. Mais pour qui sait regarder, c’est un formidable terrain d’expression, un lieu transformé en un espace d’art à ciel ouvert : Panda Monserrato.


En suivant la route qui relie Cagliari au parc naturel de Molentargius, on découvre la Galleria del Sale — littéralement, la “Galerie du Sel”.
Le nom évoque les salines toutes proches, les vols des flamants roses, la lumière du sud.
Sur les murs longeant le canal, des artistes sardes et internationaux ont peint des fresques inspirées par le dialogue entre l’homme et la nature.


Les visages, les poissons, les plantes et les symboles se mêlent au bruit de l’eau et au vent venu de la mer.
C’est une promenade étonnante, presque méditative au fur et a mesure que l’on avance et à chaque virage, une nouvelle œuvre apparaît — certaines éphémères, d’autres devenues emblématiques.


La Galleria del Sale est un musée sans porte, sans ticket d’entrée, ouvert à tous, tout le temps.


Pendant notre visite des murales au bord du canal, un léger changement de programme s’impose.

Nous faisons un détour vers le stade Sant’Elia, aujourd’hui en ruines. Le silence règne là où, autrefois, la clameur des supporters faisait vibrer les gradins.

Les tribunes sont toujours là, fantomatiques, couvertes d’une fine poussière et d’éclats de béton. À l’extérieur, des piles de sièges décolorés s’amoncellent, mêlées à des tubes d’échafaudage tordus. Sur l’ancien terrain, les buts subsistent encore, vestiges d’un passé glorieux, mais le gazon a laissé place à une forêt d’herbes folles.

Ce lieu, abandonné mais chargé de mémoire, a quelque chose de profondément poétique. Une beauté brute, presque mélancolique, qui contraste avec l’énergie colorée des murs rencontrés un peu plus tôt.


À Cagliari, le street art ne se limite pas à un projet, ni à une simple rue.
Il se propage par vagues, porté par les habitants eux-mêmes, par cette envie de réenchanter le quotidien et de faire parler les murs.
Chaque quartier — Pirri, San Saturnino, Sant’Elia — raconte sa propre histoire à travers les couleurs, les visages peints, les symboles enracinés dans la culture locale.
Les fresques deviennent ici des témoins vivants : elles évoquent les luttes sociales, les figures populaires, les rêves et les colères d’un peuple insulaire fier et créatif.
Et c’est sans doute cela, la véritable âme de Cagliari : un dialogue permanent entre le passé qui s’effrite et l’art qui renaît sur ses murs.


Cette succession de murales nous offre un portrait complet de la périphérie de Cagliari : de l’authenticité rurale de Sestu, à l’animation tempérée de Monserrato, jusqu’au charme paisible de Cagliari. Chaque lieu possède sa propre identité, mais tous témoignent de cette Sardaigne qui sait allier mémoire, tradition et vie contemporaine.


De retour dans le quartier proche du port, nous décidons de nous installer sur une terrasse offrant une vue sur le coucher de soleil. Les toits rouges et les tours anciennes s’embrasent sous la lumière rasante, et la brise marine apporte un souffle de fraîcheur après cette journée bien remplie. Nous partageons nos impressions, revenons sur les murales de Seuni, sur les petites ruelles de Sestu et sur les places animées de Monserrato

Le temps semble suspendu. Autour de nous, les habitants flânent, discutent, et la ville s’apprête doucement à passer de l’agitation de l’après-midi à la quiétude du soir. Le contraste avec la vie rurale que nous avons parcourue plus tôt dans la journée est saisissant : ici, la Sardaigne moderne se mêle à son patrimoine historique, et tout cela s’exprime avec un rythme tranquille et apaisant.

Alors que le soleil disparaît derrière l’horizon, nous profitons de ces derniers instants de lumière pour graver dans notre mémoire la Sardaigne telle que nous l’aimons : un territoire où la couleur, la mémoire et la vie quotidienne se mêlent avec harmonie, où chaque village, chaque ruelle, chaque fresque raconte une histoire unique.

Demain, d’autres découvertes nous attendront, mais pour ce soir, nous laissons la ville s’imprégner des derniers rayons du jour, le cœur léger et rempli de nouvelles impressions.


Le lendemain matin, après un dernier petit-déjeuner à Cagliari, nous bouclons nos affaires et reprenons la route vers le port. La Sardaigne nous a offert ses couleurs, ses collines, ses villages et ses fresques, mais il est temps de poursuivre l’aventure.
En embarquant sur le ferry, nous jetons un dernier regard sur le port et sur les silhouettes de la ville qui s’éloignent doucement. Le soleil matinal éclaire la mer et les collines, et un sentiment de satisfaction nous envahit : nous avons exploré une Sardaigne à la fois vivante et paisible, authentique et créative.
Alors que le ferry prend le large, laissant derrière nous les côtes sarde, nos pensées se tournent déjà vers la Sicile, prochaine étape de notre voyage. Mais dans notre mémoire, les murales de Seuni, les collines dorées de la Trexenta, les villages tranquilles de Sestu, Monserrato et Capoterra, ainsi que les paysages et lumières de Cagliari, resteront longtemps gravés.
Et ainsi, avec le vent de la mer et le clapotis des vagues comme compagnons, notre aventure continue, prête à nous offrir de nouvelles découvertes et de nouvelles émotions sur l’île voisine.