Village ENEL di Taloro

Au cœur de la Sardaigne, tout près du lac Cucchinadorza, dans la commune d’Ovodda, subsiste un village figé hors du temps : le Villaggio ENEL di Taloro. Il est l’un des trois villages ouvriers construits par l’ENEL autour de grandes infrastructures hydroélectriques sardes — avec Coghinas et Santa Chiara. Tous trois ont été abandonnés à la fin du XXe siècle, mais à Taloro, l’oubli semble plus profond, plus définitif.

Depuis les années 1960, cette petite communauté — dotée d’une école, d’un cinéma, d’une église et de logements fonctionnels — accueillait les familles des techniciens et employés affectés à la centrale hydroélectrique de Taloro.

Il y a une dizaine de maisons, entourées de verdure, à quelques mètres du lac. Et, sans le bourdonnement constant de la centrale électrique et les nombreux pylônes qui s’entrecroisent au-dessus de nos yeux, le paysage serait digne d’une carte postale.

Ce village n’était pas seulement un lieu de travail. C’était un lieu de vie. On y élevait des enfants, on y célébrait des fêtes, on y allait à la messe. On y croyait à l’avenir.

Mais à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, les maisons ont été désertées, les voix se sont tues. C’est ce que semblent confirmer les journaux retrouvés sur place : des numéros jaunis de L’Unione Sarda, des Annabella, et même quelques revues techniques encore sous cellophane. Personne ne les a jamais lus. Jetés dans des pièces vides, ils dorment face au lac, aussi vaste que le vide laissé par les hommes.

Aujourd’hui, les habitations sont vides, certaines en ruines. Le béton se fissure, les toits s’affaissent, les vitres sont brisées. L’atmosphère est décadente, mais surtout absurde. Un néant insensé règne. À Taloro, les maisons se révèlent telles qu’elles sont : des conteneurs vides, des tombeaux sans corps ni âme.

Contrairement aux deux autres villages ENEL, où quelques traces de passage subsistent, Taloro semble figé dans un abandon total, presque métaphysique.

Une chapelle debout dans l’oubli

Et pourtant, au centre du hameau, un lieu résiste : la chapelle du village. Construite dans un style sobre, elle est étonnamment bien conservée. Ses murs en pierre, son clocher discret, son portail entrouvert… À l’intérieur, tout est calme.

Dans ce silence, le sacré tient bon, discret, comme une ultime mémoire collective, un écho des prières passées.

Ici, les vies se sont arrêtées. Le bruit devient alors un signal, presque existentiel : il nous rappelle la vanité de nos constructions, la fragilité de nos communautés, la vitesse à laquelle tout peut se défaire.

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