Villages atypiques

Llivia, une Espagne au cœur de la France

Après vous avoir fait connaître Comus, réputé comme un véritable « trou à froid » cap à présent sur Llivia, petite Espagne nichée au milieu des Pyrénées françaises, un lieu hors du commun qui mérite qu’on s’y attarde.


Imaginez acheter des cigarettes en Espagne… sans jamais quitter la France ?
C’est exactement ce que propose Llivia, une petite enclave espagnole posée au cœur des Pyrénées-Orientales.

Voir la carte

Plus qu’une curiosité géographique, c’est un lieu unique, à la fois catalan, montagnard et profondément dépaysant. Nous l’avons découvert lors d’un week-end insolite, entre histoire, paysages et saveurs locales.


En route avec le Train Jaune.

Notre aventure commence un samedi matin, à Villefranche-de-Conflent. À 9h30, nous montons dans le mythique Train Jaune, symbole des Pyrénées catalanes. Dans ses wagons ouverts, le voyage devient un spectacle : montagnes abruptes, viaducs vertigineux et forêts défilent sous nos yeux, avec le vent frais qui s’invite dans les cheveux.


Vers 11h30, nous descendons à la petite gare de Saillagouse, arrêt à la demande du train. Avant de rejoindre Llivia, nous décidons de flâner dans ce village de montagne.


Saillagouse et sa table centenaire

Impossible de résister à l’appel de « Chez Planes« , restaurant traditionnel qui régale les voyageurs depuis plus de cent ans. Ici, tout respire l’authenticité : salle boisée, ambiance familiale et recettes catalanes généreuses. Entre charcuteries, viandes grillées et plats mijotés, c’est une pause gourmande inoubliable.

  • Chez_Planes_sallagouse_2
  • Chez_Planes_sallagouse_3
  • Chez_Planes_sallagouse_2
  • Chez_Planes_sallagouse_5

La promenade digestive dans les ruelles tranquilles de Saillagouse prolonge le plaisir, avant de prendre la route vers Llivia, distante de seulement cinq kilomètres, où nous avons réservé une chambre pour deux nuits.


Une enclave unique au monde.

Nichée dans une vallée à 1 220 mètres d’altitude, Llivia compte environ 1 500 habitants. Avec ses maisons de pierre aux toits d’ardoise, ses ruelles étroites et l’air vif qui descend des sommets, le village possède un charme authentique.

Mais ce qui rend Llivia unique, c’est son histoire. En 1659, le Traité des Pyrénées céda à la France 33 villages de Haute-Cerdagne. Llivia échappa à l’annexion car elle avait le statut de “ville”, privilège accordé par Charles Quint. Le Traité de Llivia, signé en 1660, confirma donc son statut d’enclave espagnole en territoire français. Un cas unique en Europe !


Découverte de Llivia

Le dimanche matin, nous partons explorer le village. Nous nous dirigeons vers l’hôtel de ville où, dans une de ses salles, on peut découvrir le mobilier et le matériel de la pharmacie Esteva, considérée comme la plus ancienne pharmacie d’Europe, dont les origines remontent au début du XVe siècle.

En pénétrant dans le musée municipal de Llivia, je me retrouve face à un trésor insoupçonné. Ici, dans les salles de l’ancien hôtel de ville, est conservée la pharmacie Esteva, considérée comme la plus ancienne d’Europe encore ouverte au public.

Mise a jour en juin 2012
En 2006, le musée a fermé ses portes pour entamer sa rénovation, et il a rouvert en mai 2012 sous une forme entièrement repensée. Aujourd’hui, il occupe l’ensemble du rez-de-chaussée du bâtiment.


Avant de pénétrer dans l’ancienne pharmacie, le visiteur découvre un avant-goût de l’histoire de Llivia à travers des pièces archéologiques, des objets ethnologiques et divers documents.

Ces collections permettent de se plonger dans le contexte local de la ville, son environnement vert et botanique, et de mieux comprendre l’histoire de la pharmacie, et en particulier celle de la pharmacie Esteva.

Les armoires de bois sombre, les pots en céramique, les albarelli décorés de motifs bleus et verts, tout respire l’histoire. Je m’approche des étagères : les fioles, les bocaux, les ustensiles semblent figés dans le temps, comme si l’apothicaire allait revenir d’une minute à l’autre. L’odeur du vieux bois se mêle à celle, imaginaire, des herbes médicinales qui devaient emplir la pièce jadis.

On m’explique que le matériel avait été acheté par le Conseil de Gérone, avec une condition stricte : il ne devait jamais quitter Llivia.


Plus haut, toutes les ruelles convergent vers l’église Mare de Déu dels Àngels.

Construite à la fin du XVIᵉ siècle dans un style gothique catalan, elle ressemble presque à une forteresse.

Son clocher de pierre domine le village et, à l’intérieur, un Christ en bois du XIVᵉ siècle attire l’œil.

À l’extérieur, plusieurs pierres tombales sculptées entre le XVe et le XVIIIe siècle rappellent l’histoire séculaire des habitants.

En Savoir plus sur l’église

Bâtiment imposant par sa taille et son allure presque fortifiée, l’église se dresse sur les vestiges de l’ancien forum romain d’Iulia Lybica. Les structures antiques auraient même servi de fondations à l’édifice actuel, reliant ainsi deux époques très éloignées.

De style gothique, l’église adopte un plan carré avec une vaste nef centrale bordée de chapelles latérales. Elle est construite en petites pierres d’ardoise locale, liées à la chaux, provenant principalement de Dorres, non loin de là, mais aussi du château détruit en 1479. Sa façade principale, sobre et massive, s’élève entre deux tours : ajoutée plus tardivement, elle est entièrement réalisée en granit, accentuant encore son austérité.

À l’intérieur, la croisée d’ogives attire immédiatement le regard. Les arcs reposent sur des permodules et les nervures s’achèvent sur des clefs de voûte sculptées. On y distingue notamment la Vierge des Anges, les armoiries de la famille Descatllar, ainsi que d’autres motifs historiés. Le sol conserve lui aussi la mémoire du passé : treize pierres tombales, datées du XVe au XIXe siècle, rappellent les anciennes familles de la commune.

L’orgue, installé dans la cinquième chapelle sud, est une réalisation moderne : construit à la fin du XXe siècle par Casa Blancafort, il s’inspire du design catalan. Mais l’église abrite également des trésors plus anciens, tels que le Saint-Christ de Llívia, une sculpture du XIIIe siècle attribuée à un maître inconnu. Enfin, sur le maître-autel, se déploie un imposant retable castillan de l’école jésuite de Logroño (1750). Ses scènes illustrent les mystères joyeux de la Vierge, avec, sur les côtés, la Visitation et l’Annonciation.


* La tour Bernat de So

La tour Bernat de So a été construite entre 1584 et 1585, dans un contexte de rivalité avec Puigcerdà, une tension déjà ancienne depuis l’époque où le château de Llívia, perché au sommet de la montagne, dominait la région avant sa chute en 1479.

Au fil des siècles, la tour a vu ses fonctions évoluer : en 1834, elle servait de prison, puis en 1835, elle accueille la mairie, rôle qu’elle conserve jusqu’en 1936.

À la fin des années 1950, la famille Esteva a offert le mobilier et le matériel de sa pharmacie au conseil municipal de Llívia. Cet ensemble a d’abord été conservé dans la tour Bernat avant d’être transféré, en 1981, au Musée Municipal de Llívia.

Actuellement, la tour Bernat sert de salle d’exposition temporaire, perpétuant sa vocation culturelle au cœur du village.





Le marché et la vie locale

Difficile de résister à l’ambiance animée du marché de Llivia. Les étals regorgent de fromages affinés, de jambons séchés, d’olives parfumées et d’épices aux senteurs méditerranéennes. Ici, on négocie, on rit, on discute fort, avec cette chaleur toute catalane.

Tout mène à la Plaça Major, cœur vibrant du village. Ses terrasses baignées de soleil sont idéales pour un café, face au va-et-vient des habitants. Autour, les ruelles pavées invitent à se perdre au hasard. Même les détails du quotidien prennent une touche d’exotisme : enseignes colorées, fontaines-abreuvoir … Comme si l’on avait franchi une frontière invisible, alors qu’on est toujours en France.

  • Rue Llivia Spain
  • Plaça Major Llivia_2
  • Plaça Major Llivia_1
  • Plaça Major Llivia_3
  • 2007 Plaça Major Llivia~2
  • Habitation Llivia_3
  • Habitation Llivia_1
  • Habitation Llivia_2




Randonnée vers le château

Pour clore la visite, une courte randonnée de vingt minutes mène aux ruines du château de Llivia. Perché sur une colline, il dominait jadis toute la vallée, point stratégique pour surveiller les environs. Aujourd’hui, ses pierres effacées offrent surtout un panorama à couper le souffle : la Cerdagne s’étend à perte de vue, et l’on embrasse d’un regard la France et l’Espagne.


Le retour à pied

Lundi matin, il est déjà l’heure du départ. Nous choisissons de rallier Sainte-Léocadie à pied, à quatre kilomètres de là. Le chemin, insolite, traverse même l’aérodrome local. Une heure de marche tranquille, comme une dernière bouffée d’air pur, avant de reprendre le train direction Villefranche-de-Conflent.


Mise a jour 2016

Treize ans plus tard, en 2016, je suis revenu à Llivia, presque par hasard. Cette fois, c’était une redécouverte, avec un regard neuf. Bien sûr, la Plaça Major et ses terrasses animées avaient gardé leur charme. Mais ce qui m’a surpris, c’est l’apparition d’un nouveau visage de la ville : celui du street art.


Sur certains poteaux décorés, j’ai découvert une série de fresques représentant les corps de métiers traditionnels : cordonniers, musiciens, boulangers, couturiers… Une manière originale et contemporaine de rendre hommage au passé artisanal et à la vie quotidienne d’autrefois.


Ce contraste entre patrimoine séculaire et expressions modernes donnait à Llivia une profondeur inattendue, mêlant mémoire et créativité.

Le musée municipal
En 2006, le musée a fermé ses portes pour entamer sa rénovation, et il a rouvert en mai 2012 sous une forme entièrement repensée. Aujourd’hui, il occupe l’ensemble du rez-de-chaussée du bâtiment.
Avant de pénétrer dans l’ancienne pharmacie, le visiteur découvre un avant-goût de l’histoire de Llivia à travers des pièces archéologiques, des objets ethnologiques et divers documents. Ces collections permettent de se plonger dans le contexte local de la ville, son environnement vert et botanique, et de mieux comprendre l’histoire de la pharmacie, et en particulier celle de la pharmacie Esteva.

Ce fut un simple passage rapide, avant de filer aux célèbres Bains romains de Dorres. Perchés à 1 450 mètres d’altitude, ces bassins en granit offrent une expérience unique : se détendre dans une eau naturellement chaude (39 °C) tout en profitant d’un panorama exceptionnel sur les Pyrénées. Un moment hors du temps, suspendu entre ciel et montagne.
👉 Découvrir les Bains de Dorres


Nos impressions

Llivia n’est pas un simple village, c’est une expérience.
Ici, l’Espagne se cache au milieu de la France, et l’on se surprend à goûter à cette double identité en flânant dans ses ruelles, en humant l’air frais des Pyrénées, en partageant un café en terrasse.

Ce qui devait être un simple prétexte – acheter une cartouche de cigarettes – s’est transformé en véritable voyage : entre gastronomie catalane, patrimoine médiéval, street art et paysages grandioses, Llivia s’est révélée comme un joyau inattendu, à la frontière… mais sans jamais la franchir.