Street Art Sardaigne

Les murales de Sardaigne

Galeries d’art en plein air

Quotidienneté, traditions, luttes et mémoire collective : la Sardaigne se raconte sur ses murs.

L’histoire des murales en Sardaigne commence dans un contexte de bouleversements sociaux, au tournant des années 1970. Ce sont les années de plomb en Italie, et la Sardaigne, en quête d’identité, voit naître un art mural engagé, porteur de messages politiques, sociaux et culturels.

Tout commence dans la campagne du Campidano, avec San Sperate, où en 1968, un jeune artiste rentré au pays après un tour d’Europe décide de transformer son village en un musée à ciel ouvert. Pinuccio Sciola, sculpteur et muraliste, enduit les murs d’un manteau de chaux et les recouvre de fresques racontant la vie quotidienne. San Sperate, célèbre aussi pour ses pêches, compte aujourd’hui plus de 200 murales et incarne le « village-musée » originel de Sardaigne.

Dans les années qui suivent, le mouvement se diffuse. À Villamar, la rencontre entre des réfugiés chiliens et des artistes sardes dans les années 1970 suscite un foisonnement créatif : le passé, l’histoire et les luttes politiques prennent place sur les façades. À Serramanna, en 1979, le mural « Emigrazione è deportazione », réalisé à huit mains, évoque avec force la souffrance de l’exil économique, une réalité pour tant de Sardes.

Le mouvement s’étend ensuite à la Barbagia, au cœur montagneux de l’île, avec Orgosolo, aujourd’hui surnommé le village des murales. Tout commence là aussi à la fin des années 1960, mais c’est en 1969, à l’occasion d’une manifestation d’étudiants et de paysans, que les premières fresques politiques apparaissent. Aujourd’hui, Orgosolo compte plus de 150 murales, évoquant les luttes populaires, les conflits internationaux, les figures de la résistance et les traditions locales. C’est un musée à ciel ouvert où la peinture devient outil de mémoire et d’émancipation.

Le phénomène gagne ensuite la Planargia, où les villages viticoles comme Flussio, Sennariolo, Montresta et surtout Tinnura deviennent de véritables perles murales. À Tinnura, village de moins de 200 habitants, la densité de fresques par habitant est probablement la plus élevée d’Europe. Les œuvres y sont souvent réalistes, en trompe-l’œil, sur fond noir, et mettent en scène la vie rurale, les savoir-faire, les gestes oubliés.

Dans la Sardaigne centrale, les villages comme Fonni, Mamoiada, Oliena, Loceri, Irgoli ou Borore adoptent à leur tour le muralisme pour célébrer le quotidien, les fêtes locales, les masques traditionnels du carnaval (Mamuthones, Issohadores) et les paysages de l’intérieur. Dans la Baronia, on trouve aussi des fresques à Galtellì, Onifai, ou encore Orosei.

En Gallura, sur la côte nord-est, Palau s’illustre avec des fresques alliant tradition et modernité : personnages en habits folkloriques y côtoient scènes de vie contemporaine, sur fond de mer turquoise.

Au tournant des années 2000, une nouvelle vague apparaît : moins militante, plus tournée vers l’expérimentation artistique. Des collectifs se forment, les street artists débarquent depuis la Péninsule ou de l’étranger. Des villes comme Cagliari, Olbia ou Sassari intègrent l’art mural dans leurs politiques urbaines, souvent lié à des thématiques environnementales ou culturelles.

San Gavino Monreale, dans le Medio Campidano, devient un laboratoire à ciel ouvert. Une cinquantaine d’œuvres signées d’artistes comme Tellas, Giorgio Casu ou Crisa redonnent des couleurs aux façades décrépies. On y célèbre la culture sarde mais aussi des figures internationales comme Frida Kahlo, David Bowie ou Malala Yousafzai.

Le mouvement touche aussi Selegas, avec des fresques poignantes, et les bourgs de l’arrière-pays de Cagliari comme Capoterra, Monserrato ou Sestu. Dans le Sulcis, sur l’île de Sant’Antioco, des parcours artistiques mettent en valeur les traditions artisanales de cette région autrefois industrielle.

Aujourd’hui, on recense en Sardaigne près de 2 000 murales, dans plus de 200 villages. Un patrimoine unique, vivant, en perpétuelle évolution. Les murs sardes parlent, et il faut les écouter : ils racontent l’histoire, la mémoire et l’âme de l’île.